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écrivait à Vendôme : « La gloire du Duc de Bourgogne et le salut de l’Etat sont entre vos mains[1]. »

En effet, l’armée du prince Eugène et celle de Marlborough étaient séparées : l’une investissait Lille, l’autre demeurait encore campée à mi-chemin entre cette place et celle d’Oudenarde, Marlborough n’ayant pas voulu lever son camp avant de savoir quelle route l’armée française comptait suivre. Lui-même n’avait pas sous la main toutes les forces dont il pouvait disposer, et, à ce moment, la supériorité du nombre était incontestablement du côté de l’armée française. Mais il appelait en hâte à lui celles de ses troupes, anglaises ou hollandaises, qui étaient dispersées dans le pays. Il s’entendait avec le prince Eugène pour que celui-ci détachât de son armée 26 bataillons et 72 escadrons, qui venaient le rejoindre[2]. Aussitôt ces forces rassemblées, il se hâtait de prendre les devans et de couper la marche de l’armée française en s’établissant sur la route de Lille, dans une forte position. De sa personne, le prince Eugène venait le rejoindre, comme la veille d’Oudenarde, et, les deux grands capitaines réunis attendaient de pied ferme l’attaque des Français. Durant toute cette période, la correspondance quotidienne de Marlborough témoigne à la fois de son activité et de ses inquiétudes : « J’ai été si troublé, écrivait-il quelques jours après à Godolphin, que j’ai eu aussi chaud que si j’avais eu la fièvre[3]. »

Il s’en fallait malheureusement qu’il y eût au camp français autant d’activité, de résolution et d’entente. L’armée cheminait lentement, à petites journées en quelque sorte, perdant un temps précieux. Elle passait à Tournay deux jours entiers. Le second fut employé en grande partie par le Duc de Bourgogne, personnellement, à suivre une procession générale que l’évêque avait ordonnée[4]. « On trouva, dit Saint-Simon lui-même, que son temps

  1. Dépôt de la Guerre, 2083. Le Roi au Duc de Bourgogne, et à Vendôme 3 sept. 1708.
  2. Alison, The Life of John duke of Marlborough, t. I, p. 421.
  3. Coxe, Memoirs of the duke of Marlborough, t. IV, p. 285.
  4. Cet évêque, qui était un Beauvau, avait voulu ordonner également des prières dans la place de Lille, et il avait eu l’idée assez singulière de s’en remettre au prince Eugène du soin de faire parvenir ses lettres épiscopales aux curés des différentes paroisses. Le prince Eugène lui répondit : « Je vous renvoie les lettrés que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer pour les curés de Lille. Si vous ne recommandiez, Monsieur, à leurs prières que la personne du Roi, je n’aurois fait aucune difficulté, mais, y ayant joint la prospérité de ses armées, vous jugez bien que, pendant une aussi sanglante guerre, cela n’est pas de saison. »