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à ne point s’alarmer. Il soutenait tantôt que le convoi n’était pas aussi considérable qu’on l’avait dit, tantôt que le prince Eugène menaçait Mons ou Tournay, mais non point Lille, et s’il parlait dans une lettre à Chamillart de lui « passer sur le ventre[1] » avec une armée supérieure, il s’en tenait à cette rodomontade et ne bougeait de son camp. Moins obstiné, le Duc de Bourgogne se préoccupait bien « d’inquiéter les ennemis, » en envoyant Albergotti et du Rosel surveiller leurs mouvemens du côté de Bruxelles, mais les forces qu’il mettait à leur disposition étaient insuffisantes, et le Roi était fondé à lui écrire avec un semblant d’ironie : « J’appréhende bien que les détachemens que vous avez faits pour donner de l’inquiétude aux ennemis du côté de Bruxelles, n’aient apporté aucun retardement à la marche de leurs convoys[2]. » L’investissement de Lille, prévu depuis si longtemps et non empêché, produisait avec raison une impression singulièrement défavorable tant au Duc de Bourgogne qu’à Vendôme. Saint-Simon, tout ému, demandait à Chamillart quelles étaient les causes de cette inaction. Chamillart, embarrassé remettait la réponse à plus tard, et finissait par n’en donner aucune[3]. Aussi, l’intendant de Flandres, Bernières, ne faisait-il que traduire l’opinion générale, lorsque, quelques jours plus tard, il écrivait à Chamillart : « Il paraîtra sans doute étonnant à la postérité, Monsieur, qu’une place de cette importance, de cette grandeur, enclavée au milieu de notre propre pays et de toutes nos places, soit attaquée par des forces que je ne crois pas supérieures à celles du Roi, que je crois même inférieures. Il ne paraîtra pas moins étonnant que tout ce qui est nécessaire-à cette entreprise soit venu du fond de la Hollande et de la Meuse, et ait été voiture tranquillement depuis Bruxelles[4]. » Ce jugement de l’honnête intendant a été ratifié par Feuquières, historien parfois sévère, mais souvent aussi avisé et sagace des opérations militaires du règne, qui dit dans ses Mémoires : « Comment

  1. Dépôt de la Guerre, 2 082. Vendôme à Chamillart, 9 août 1708.
  2. Dépôt de la Guerre, 2082. Le Duc de Bourgogne au Roi, 7 août 1708 ; le Roi au Duc de Bourgogne, 10 août 1708.
  3. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 280. Saint-Simon dit que le Duc de Bourgogne s’opposa a l’attaque du convoi. Ce n’est pas exact ; il n’eut pas à s’y opposer, car Vendôme ne proposa rien. Son tort fut de ne prendre qu’une demi-mesure et de ne pas faire usage de la voix décisive qu’il avait réclamée, pour imposer à Vendôme une action énergique.
  4. Sautai, ouv. cit., p. 11.