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mon état. Il me semble que, dans tout ceci, je pense comme je dois, que je ne veux point qu’on me donne raison en ce que j’aurais tort, ni garde aucune rancune contre ceux qui feront ou auront quelque chose contre moi. » « Je prie Dieu de pouvoir contribuer au salut des personnes dont je vous ai parlé, mais avant toutes choses, il faut faire le mien, et plus on est chargé d’affaires, plus les obstacles augmentent, et plus j’ai besoin de prières moi-même… Sur ce qui me regarde, l’ardeur et l’inquiétude où j’ai vu quelques gens sur les affaires présentes, m’a peut-être, par impatience, jeté dans une conduite contraire. Ce n’est pas que je ne voie et sente tout peut-être aussi bien qu’eux. Je profiterai de vos avis pour ménager la prudence et le courage, le tout avec la grâce de Dieu, pour sa gloire, car c’est-à lui de nous donner le courage et la victoire contre nos ennemis spirituels et temporels. Demandons-lui l’un et l’autre, et ensuite agissons en nous confiant en lui. Je sais à merveille que Dieu est le maître de la victoire, de la vie et de la mort ; aussi lui faut-il tout remettre entre les mains[1]. »

Nous n’avons point les lettres de Beauvilliers ; par celles de l’élève on peut deviner ce que devaient être celles du maître, et l’on souhaiterait aussi que le vieux gentilhomme eût fait parvenir au jeune prince des conseils qui ne fussent pas uniquement spirituels. Fénelon, ainsi que nous le verrons bientôt, lui écrivait d’un autre ton. Nous n’avons pas davantage, et la perte est plus grande encore, celles que lui adressait Madame de Maintenon. Avec sa bonté vraie, qualité souvent méconnue chez elle, elle avait bien compris qu’elle irait au cœur du Duc de Bourgogne en lui parlant de sa femme non moins que de Dieu. Le pauvre mari l’en remercie avec effusion, et nous le voyons, au milieu de ses peines, se réjouir de ce qu’elle lui mande, et s’excuser en même temps de l’entretenir sans cesse de l’objet cher à son cœur : « Je ne sais si je ne vous ennuierai point en vous parlant toujours de Madame la Duchesse de Bourgogne. Je comprends aisément l’inquiétude que lui donne monsieur son père, et pour le mal qu’il peut nous faire et pour celui qui pourrait arriver à sa personne[2]. Je suis charmé de plus en plus de ce

  1. Le Duc de-Bourgogne et le duc de Beauvilliers, par le marquis de Vogué, p. 235, 246, 259.
  2. Le duc de Savoie conduisait en personne son armée contre la France, et Villars lui tenait tête, mais avec peu de succès dans les défilés des Alpes.