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fléchir le courroux de son Fils, toujours prête à sauver son peuple dans l’heure décisive. Et par là sans doute s’explique le sentiment d’aveugle sécurité qui, vingt fois, a empêché les Siennois de profiter de leurs victoires comme de prévenir leurs défaites. Ils comptaient sur la Vierge pour les défendre ; et, sûrs de son appui, ils riaient, dansaient, ou se querellaient. Mais ils savaient aussi que la Vierge, en échange de sa protection, exigeait d’eux qu’ils tissent au moins un petit effort pour obéir à la loi du Christ : de telle sorte que leur piété, de temps à autre, leur inspirait soudain un irrésistible désir de pardon et de paix. Les factions se réconciliaient dans la cathédrale ; les prisonniers ennemis, amenés devant l’autel de la Vierge, se voyaient, à leur grande surprise, remis en liberté. Et le fait est que, durant quatre siècles, la faveur divine semble avoir vraiment récompensé de sa dévotion ce peuple de « fous, » puisque la durée de la république siennoise, tout comme le caractère siennois, a toujours paru aux historiens un étrange paradoxe, échappant aux lois habituelles des affaires humaines.


Une piété enfantine et une gaîté enfantine : ces deux traits, qui se dégagent de toute l’histoire de Sienne, sont aussi ceux qui constituent l’étonnante et touchante unité de son art. Architecture, sculpture, peinture, tout l’art siennois du XIIIe du XIVe et du XVe siècle, est inspiré d’un même esprit, au point qu’on le croirait sorti tout entier d’un même cerveau et d’un même cœur. Durant trois siècles les maîtres siennois, étrangers au mouvement du reste du monde, ont continué de chanter à la Vierge, en souriant, un naïf cantique d’amour et de reconnaissance. A la Vierge, et avec elle, à son divin Fils ; car si d’autres maîtres, ailleurs, ont su donner à la Mère une beauté plus parfaite, nul art certainement n’a revêtu la figure du bambino d’une vie tout ensemble plus humaine et plus surnaturelle. Depuis Duccio jusqu’à ce Siennois d’adoption qu’a été le Sodoma, les peintres siennois ont été les plus merveilleux évocateurs de Jésus enfant. Et il n’y a pas jusqu’au Sodoma qui, par un miraculeux privilège, n’ait réussi à s’imprégner de cette « douceur siennoise » que déjà les anciens chroniqueurs admiraient ou enviaient : douceur faite de gaîté et de dévotion, sourire charmant d’une âme à jamais puérile.

Les chapitres que M. Langton Douglas a consacrés à l’évolution de cet art siennois sont assurément les meilleurs de son livre. Personne, que je sache, n’a défini avec plus de justesse le caractère particulier de chacun des vieux maîtres de Sienne ; la grandeur poétique de Jacopo