Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meilleure occasion ! C’est le conseil de la sagesse. Nous aurons soin pour notre part d’en tenir compte, et, en passant la revue des pièces qui, dans ces dernières semaines, ont figuré parmi les plaisirs parisiens, nous ferons en sorte d’y assister uniquement en spectateur amusé.

Nous citerons d’abord, en manière de contraste, la comédie de M. Ambroise Janvier : les Appeleurs, conçue précisément dans le système aujourd’hui passé de mode, mais qui, il y a quelques années, aurait eu ses enthousiastes. M. Ambroise Janvier a fait cette remarque : c’est qu’il y a des gens qui semblent avoir le monopole du bonheur. Ils ont la veine, comme d’autres ont la guigne ; tout leur réussit, leurs fautes tournent à leur avantage, et leurs maladresses ne nuisent qu’à autrui. Ces privilégiés, se demande l’auteur, ne seraient-ils pas des instrumens entre les mains de la destinée ? Un rôle ne leur aurait-il pas été assigné dans ce monde où rien n’est sans objet ? Il consisterait à abuser les autres hommes en leur faisant croire à la possibilité du bonheur. Les yeux fixés sur ces quelques spécimens d’existences heureuses, disposés çà et là pour l’exemple, les hommes continuent de s’évertuer. De la sorte, ils ne laissent pas se perdre le goût de la vie et de l’activité. D’ailleurs tous ces efforts et tout le mouvement où nous nous dépensons, ne sont pour nous qu’autant de moyens d’aller au-devant de la souffrance. Ainsi les paysans se servent pour la chasse de canards apprivoisés : les canards sauvages accourent à l’appel de ces derniers : les chasseurs embusqués les attrapent au passage.

Qui sait pourtant s’il n’y aurait pas moyen de tirer parti de ce stratagème déloyal de la destinée ? Puisqu’il y a des gens faits pour être heureux et qui forment une espèce de confrérie du bonheur, entrons dans leur confrérie ! Du jour où notre fortune fera partie de leur fortune, notre prospérité sera donc assurée. Les « appeleurs » sont ici M. et Mme Jacquelin, braves rentiers, qui achèvent de vivre dans un joli coin de province, cultivent leurs terres, vendangent leurs vignes et ne connaissent pas de mauvaises années. Ils ont un fils qui se couvre de gloire aux colonies ; une fille, Germaine. Leur jeune ami, Maurice, n’a su jusqu’ici que gâcher des dons exceptionnels et son patrimoine. Il est en passe de devenir un raté. Pour conjurer le mauvais sort, il aurait un moyen tout simple qui est d’épouser Germaine. Telle est la donnée de la pièce : elle est ingénieuse, et le premier acte où elle nous est exposée est presque excellent : l’auteur y a esquissé un joli tableau de mœurs provinciales, et les propos qui s’y