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distractions, et chantonne quelques refrains pour la troubler en faisant allusion à ses amourettes :


Duas rosas bi tengo in s’ortigheddu...
J’ai deux roses dans mon jardin...


Il gagne la partie, triomphe bruyamment et annonce à tous que Maria a perdu sa part d’héritage, et que « la petite pouliche ira mendier, la besace sur le dos. » Une bataille s’ensuit, après quoi Diego s’en va porter le trouble dans le petit troupeau de neveux et de nièces qui, rassemblés autour du foyer avec la jeune servante Badora[1], rôtissent des glands sous la cendre à l’insu de leurs parens. Il veut les dénoncer.

— Tais-toi, ne le dis pas à grand’maman, tais-toi, mon petit Diego, — supplia Grazietta à voix basse.

Elle le regardait si doucement, à travers les cheveux qui, comme toujours, voilaient ses grands yeux gris, qu’il fut attendri, et se tut. Mais donna Martina avait entendu.

— Qu’est-ce qu’il y a, Diego ?... Je te demande ce qu’il y a.

— Rien. C’est Badora qui brûlait son jupon.

En récompense, Grazietta lui donna un gland rôti. Par malheur, celui-là était amer comme l’absinthe. Il fit mille grimaces et le cracha sur le feu, en grognant :

— Qu’est-ce que c’est que cette cochonnerie ? Ma petite Grazietta, ma nièce, prends garde. Tu finiras par lasser ma patience. En voilà des manières ! Allons, je vais le dire à ton papa et à ta maman.

Et comme Badora, la petite servante, murmure et se plaint du trouble-fête, il s’en prend à elle :

— Tais-toi, nez de patate, ou je te mets le feu aux talons. A qui parles-tu, mal venue dans le monde ? Tu te crois avec Sadurru[2] ? Il te donne des petits couteaux ; mais moi je te donnerai un coup de pied qui te flanquera dehors. Tu entends ?

A côté de cet insolent de Diego, il y a de sympathiques et réjouissantes figures, dans le cercle familial des Marvu, depuis la grand’mère, donna Martina, grande, sèche, le nez aquilin, les yeux noirs et aigus, jusqu’à Chichita (Francesca, Françoise), haute comme une botte, les jambes torses et les bas sur les souliers, — et jusqu’à ces « frères inférieurs, « comme les appelait saint François,

  1. Badora, Salvatora.
  2. Sadurru, Saturnino.