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de la prêtrise. Il s’est marié, il a un grand fils, Antine[1], qu’il a mis au séminaire ; et il songe déjà, avec allégresse, avec fierté, au jour de la première messe. Mais, la vocation manquant au jeune homme, le patron de son père, un jeune citadin débauché, l’encourage à quitter le séminaire, et lui en fournit les moyens. Antine se sauve et se fait soldat. Pendant deux ans, son père lutte contre la tentation de tuer son jeune maître. L’occasion enfin se présente ; il l’épie, le suit, va le poignarder. Mais l’autre précisément veut mourir ; cousu de dettes, las de la vie, il se jette dans la rivière. Le berger s’y précipite à son tour, et le sauve.

« Zio Félix le vit, de la porte de sa cabane, et un tremblement lui courut dans les reins. Depuis quatre jours qu’Elia était arrivé, il ne l’avait pas vu encore. Il avait cependant senti sa présence, et depuis quatre jours, il ne buvait pas, il ne mangeait pas, il ne parlait pas, il ne dormait pas... Au fond de son âme il souhaitait de vaincre sa passion, de ne pas tuer, de ne pas se damner. Mais il ne pouvait dompter la puissance infernale qui le dominait. Il sentait que, le moment fatal arrivé, il saignerait Elia comme un agneau. En le voyant traverser la tança, il s’élança hors de la cabane. Le premier frémissement passé, il se sentit un calme étrange, un sang-froid pire que toute colère. Il pensa : « Il va vers la rivière, il va se baigner. Le misérable veut s’amuser encore. Je t’en donnerai, moi, de l’amusement ! J’attendrai que tu te déshabilles, que tu sois nu comme le jour où tu es né. Je t’enfoncerai le couteau entre les côtes, et je te jetterai à l’eau. »

« Il marcha avec précaution, le suivant à distance ; sa main, dans sa besace, tâtait le couteau, aiguisé depuis si longtemps. Toute lutte en lui avait cessé. Il ne sentait pas son cœur battre ; il ne sentait pas le paquet de reliques qui lui piquaient la poitrine, il ne se rappelait pas qu’il avait vécu plus de cinquante ans en prières pour sauver son âme... Le soleil s’était couché. Le ciel, d’un rouge orangé, répandait ses reflets sur la rive occidentale. Elia apparaissait et disparaissait dans les lauriers-roses. A un endroit où l’eau était plus profonde, il s’arrêta. Zio Félix était à peine à plus de dix mètres, caché dans un buisson de sureau. »

Ainsi sans apprêts de psychologie, en traits énergiques, les âmes passionnées et superstitieuses se manifestent. Nous sommes plongés dans la vie de ces pasteurs. Nous prenons part aux rites

  1. Antine, Costantino.