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de souffles, de bruits vagues et de parfums... Elle vivait, la vieille Ile, toujours libre malgré les meurtrissures de l’histoire, toujours sauvage malgré l’afflux des conquérans et les traces des civilisations accumulées. Elle vivait d’une vie indomptable et calme. La magie de ses spectacles, la subtile douceur de ses voluptés, se révélaient dans ces pages pleines de sensations précises, riches de descriptions rapides, sans effort minutieuses et condensées, et si variées, si justes, si diversement intenses, que l’auteur s’évanouissait, et que la candide puissance de la nature apparaissait sans déformations, avec toute la changeante complexité de ses charmes.

Et, comme l’âme des choses, l’âme des hommes aussi s’exprimait sans que l’interprète se laissât entrevoir. On ne s’y trompe pas. Il n’est que trop facile de deviner, à la recherche d’une parure de style, au raffinement d’un sentiment, à la rareté ou à la force longuement préparée d’une situation, l’intervention de l’auteur. Ici, rien de semblable. Les personnages n’étaient point choisis dans un monde où l’extrême civilisation aiguise les consciences et varie les conflits : c’étaient les enfans de cette terre vigoureuse et farouche, des gardiens de troupeaux, de bœufs ou de porcs, des paysannes et des servantes, des gens simples, les premiers venus de cette race agreste. Et cependant ils vivaient, eux aussi, et ce n’était pas seulement le détail pittoresque de leurs mœurs, de leurs traditions antiques, de leurs superstitions naïves, qui retenait l’attention en amusant la curiosité. Non ! Mais en eux on sentait frémir l’homme. Dans un autre milieu, dans un autre décor, nos passions à nous s’agitaient là, bien différentes des nôtres sans doute dans leurs occasions et leurs circonstances, différentes même dans leurs démarches, leurs détours et leurs manifestations, — identiques pourtant en leur fond.

A les suivre dans leur croissance et leurs hésitations, on goûtait cette surprise délicate et saine, de pénétrer dans des âmes étrangères, et néanmoins toutes proches. Rien n’était déguisé de ce qui les sépare de nous, — la médiocrité rustique des préoccupations, les préjugés, l’allure primitive des pensées, la brusquerie des impulsions. Rien non plus, dans la composition du drame, n’était combiné de façon à nous rendre ces modestes héros artificiellement sympathiques, soit par l’exagération tragique de leurs sentimens, soit par la précipitation des événemens.