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d’elle, puisqu’il le peut. On a quelque scrupule à solliciter encore de ce côté l’attention des lecteurs français ; on veut s’assurer qu’on ne se trompe pas, et leur assurer qu’on ne veut pas les tromper. On souhaite que l’hôte qu’on présente et qu’on aime soit bien reçu, et l’on analyse les raisons qu’on a de l’espérer,


I

C’est dans la Nuova Antologia, il y a trois ans, que j’ai lu, pour la première fois, une œuvre signée du nom de Grazia Deledda, Il vecchio della Montagna. Qu’il peut tenir de vie, dans quelques pages d’imprimerie ! Et si la littérature est la suprême vanité, comme le disent ceux qui en abusent le plus joliment, quel mystère délicieux et noble, pourtant, que l’incarnation de l’Univers vibrant dans ces rangées monotones de caractères ! Les lignes compactes semblaient s’élargir en horizons. Les petites lettres noires, dont l’encre même n’a plus d’odeur, ces petites lettres dociles aux calculs des statisticiens comme aux dissertations des philosophes, exhalaient, cette fois, le parfum immense et complexe de tout un pays de montagnes boisées et de plaines brûlées par le soleil. Le grand paysage de la Sardaigne ondulait, des roches scintillantes aux plateaux herbus, et des prairies aromatiques, pleines du bourdonnement des abeilles, aux marécages dont les eaux stagnantes luisent, entre les roseaux, d’un éclat métallique. On voyait, on sentait vivre la terre. Les feuilles se couvraient de rosée, le vent gémissait dans les forêts de plus et de chênes verts, les clairs de l’une argentés ruisselaient dans les clairières. Après les nuits de gel où brillent les étoiles, après les nuits d’été où le bleu du ciel pèse et caresse comme un velours, après les nuits secouées d’ouragans ou baignées de pluie, les aurores de nacre ou de feu montaient lentement derrière le rempart des cimes déchiquetées. Les jours passaient, innombrables, chacun pourtant avec la personnalité de ses nuances, et quand les crépuscules s’écroulaient dans un amoncellement de nuages, dans un tumulte de flammes, au delà des maisonnettes blanches, au delà du treillis des arbres, au loin, vers la mer, on y sentait la fin de quelque chose d’unique et qui ne reviendrait plus. Et le ciel s’éteignait, d’un bleu plus sombre, les étoiles y jaillissaient, comme des étincelles voilées, comme des perles, et la terre mélancolique parlait son langage