Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouvelles réponses aux questions où se formulait notre malaise social et religieux. La brèche ouverte dans notre pays nous contraignait à regarder au loin, à interroger l’âme des peuples, l’esprit des races. Incertaine en apparence, notre mobile enquête n’était donc pas, cependant, dépourvue d’une vague et instinctive direction ; et c’est la détermination de ces tendances qui est le meilleur résultat de nos essais, souvent ingénus, d’intelligence et d’admiration.

Nous nous sommes désaccoutumés de juger le livre du seul point de vue de la beauté. C’est un fait assez remarquable, que le public lettré n’est plus composé d’humanistes, c’est-à-dire d’esthètes classiques, mais d’hommes qui pensent, ou qui se vantent et qui s’efforcent de penser. Moins attentifs aux prestiges de la forme, nous sommes devenus plus exigeans pour le fond ; nous réclamons de l’œuvre littéraire plus de vérité humaine, une plus large portée, un intérêt moral ou social, des enseignemens ou des renseignemens. Nos préférences sont gouvernées par un certain esprit scientifique, philosophique, démocratique aussi. Entre toutes les œuvres que notre sympathie adopte, celles auxquelles nous nous sentons attachés par plus de liens sont celles qu’imprègne l’âme populaire, celles où se traduit l’originalité d’une race... Bref, ces nombreux contacts avec les littératures étrangères ont secondé et fécondé les efforts d’une critique qui, depuis Renan et Taine, soucieuse avant tout des idées et des faits, cherche à rétablir solidement les rapports de la littérature avec la vie, avec toutes les manifestations de la vie, et toutes les sciences de la vie. Notre goût ne s’est pas épuré ; on ne peut pas dire non plus qu’il se soit corrompu : il s’est, en quelque sorte, nourri. De nouveaux motifs y sont intervenus et, pour quelque temps sans doute, s’y sont incorporés. Pour parler le langage des philosophes, nos critères se sont multipliés, comme nos inclinations se sont définies ; et, en conséquence, quoiqu’il soit de mode à présent de dire beaucoup de mal du jugement littéraire du public français, il semble, au contraire, qu’il se soit, depuis plusieurs années, élevé, élargi, affermi, et que nous touchions à un très heureux moment de notre goût.

J’avais besoin de me rassurer moi-même par ces considérations encourageantes avant de prononcer le nom d’un écrivain italien que la réclame n’a point signalé, et qui doit se passer