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LE ROMAN DE LA SARDAIGNE

GRAZIA DELEDDA

Le pèlerinage d’admiration que notre goût littéraire accomplit, depuis vingt ans, autour de l’Europe, n’a pas été sans profits. Sans doute, à quêter successivement nos lectures auprès des Anglais, des Russes, des Norvégiens, des Italiens, des Espagnols, des Polonais, et de quelques autres peuples moins connus, nous avons commis des erreurs et affiché des ridicules. Nous avons fait preuve d’autant de versatilité que de bonne volonté, et de plus d’incertitude, souvent, que de clairvoyance. Il nous est arrivé de crier à l’originalité devant la contrefaçon, et d’abuser du droit que nous avons acquis, de consacrer le talent, pour décerner libéralement le génie, « à titre étranger. » Peu à peu, pourtant, de nos méprises se sont dégagées des leçons. Nos engouemens se sont corrigés en se multipliant. L’expérience de nos exagérations et de nos inconstances nous a appris à mettre de la prudence dans nos enthousiasmes, et des degrés dans nos sympathies. Surtout, les motifs obscurs qui nous poussaient vers les littératures étrangères se sont éclairés et confirmés.

Il serait trop aisé, en effet, et trop affligeant, de ne voir que fantaisie de blasés, signe de décrépitude nationale, pose et « snobisme, » dans les inquiétudes de notre curiosité. Nous avions besoin de nous renouveler, de changer d’air. Nous étions las des querelles d’écoles et des préoccupations techniques ; le naturalisme nous faisait désirer le naturel ; nous avions soif de sincérité pure, de réalité pleine, de fraîcheur et de profondeur morales. Nous voulions des impressions nouvelles, mais aussi de