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prévaloir dans la nation. Il est permis de blâmer cette politique. Il est excessif de taxer de haute trahison et d’infamie celle qui l’a préconisée. Française et catholique, la duchesse de Portsmouth ne pouvait concevoir pour l’Angleterre de destinée plus heureuse que de vivre sous une monarchie indépendante et, sinon catholique, au moins tolérante. On a dit, pour excuser les puritains d’avoir reçu l’or de Louis XIV, qu’ils ne pensaient point trahir la nation puisqu’ils l’employaient à défendre ce qu’ils jugeaient être ses intérêts primordiaux. La même justice doit être rendue à la duchesse de Portsmouth. Sa politique, qui sans doute était conforme à ses intérêts personnels, était la seule qui lui parût répondre à la fois à son idéal politique et religieux et compatible avec l’état moral et intellectuel de l’Angleterre. Elle réussit en somme à maintenir quinze ans le régime que Jacques II allait ruiner en trois années.

Par l’intérêt de son caractère, par l’importance des événements auxquels elle se trouva mêlée, et par la grandeur du rôle qu’elle joua, la duchesse de Portsmouth nous semble donc devoir figurer dans les tout premiers rangs des maîtresses royales dont l’histoire a gardé le souvenir. Sentimentalement inférieure à La Vallière, elle eut un rôle politique que l’autre ne songea jamais à jouer et que d’ailleurs Louis XIV ne toléra chez aucune de ses maîtresses. C’est aux favorites du règne suivant qu’il faut descendre si l’on veut chercher des personnages de comparaison plus exacte. Elle fait songer à une Pompadour moins raffinée et moins spirituelle, mais qui sut faire face à de bien autres difficultés et jouer, somme toute, un rôle plus considérable : elle passa sa vie à disputer en souriant et avec ténacité une partie dont sa vie était l’enjeu. Pendant quinze ans, suivant le mot de Saint-Évremond, « le ruban de soie qui serrait la taille de Mademoiselle de Kéroualle unit la France à l’Angleterre. » Les résultats de cette alliance furent assez grands pour que nous devions quelque impartialité, peut-être nuancée d’indulgence, à celle qui en fut la personnification.

Jean Lemoine. — André Lichtenberger.