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moins violent que celui de La Vallière pour Louis XIV, sincère néanmoins.

Que maîtresse des faveurs du roi, elle en ait usé largement et avec insolence, qu’on lui reproche à bon droit son avidité, le goût de l’intrigue, une certaine dégradation morale, nous n’y contredirons point, faisant seulement observer avec quel soin vindicatif et impitoyable ont été relevées ses moindres faiblesses et que nous ne la connaissons guère que par des ennemis ou des indifférens. Mais, en revanche, ce sont ses actes eux-mêmes qui témoignent des qualités qui la distinguèrent. Parmi les favorites royales dont l’histoire a gardé le souvenir, il n’en est aucune qui ait eu à faire face à autant d’hostilités, qui ait lutté contre des difficultés plus nombreuses et plus diverses, qui en ait triomphé d’une manière plus éclatante et avec moins de secours extérieurs. L’énergie, la persévérance, le courage, le sens diplomatique, la merveilleuse souplesse d’esprit dont elle fit preuve, la classent sans contredit infiniment au-dessus des intrigantes vulgaires.

On l’en séparera davantage encore, si l’on veut bien remarquer qu’il y eut chez elle, ainsi que nous avons tenté de le montrer, quelque chose d’autre que la préoccupation égoïste de se maintenir à la source des honneurs et des richesses, que sa conduite témoigne de vues politiques et réfléchies.

À l’époque où elle arriva au pouvoir, les destinées de l’Angleterre pouvaient encore ne point paraître définitivement orientées vers le protestantisme et le régime parlementaire. Rétabli sur le trône par une réaction anti-puritaine et anti-anarchiste, accueilli avec le plus bruyant enthousiasme, Charles II pouvait apparaître comme le monarque prédestiné à ramener le royaume dans les voies traditionnelles de la monarchie catholique et absolue. Et de fait, contre l’opposition qui revendiquait la tradition protestante et les libertés naturelles, il se forma un parti puissant qui rêva la restauration du catholicisme et probablement l’annihilation du régime parlementaire. La duchesse de Portsmouth essaya de tenir un juste milieu entre ces deux politiques extrêmes et contradictoires. Son but fut, avec l’appui sympathique de la France, de maintenir en Angleterre l’autorité royale au-dessus du Parlement, le régime de la tolérance religieuse contre les exigences du puritanisme, sans cependant attaquer de front les doctrines qui de plus en plus tendaient à