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Il pourrait se faire que ce jugement eût quelque chose de trop simpliste et de trop absolu. À l’heure actuelle, les passions politiques et religieuses qui bouleversèrent l’Angleterre au XVIIe siècle sont encore loin d’être totalement abolies. Parmi nombre de ceux qui ont recueilli les dépositions de l’histoire, subsiste quelque chose de l’esprit des juges qui écoutaient Titus Oates. Ce n’est pas une nouveauté de constater que peu de nations ont aussi sincèrement que l’Angleterre confondu la justice avec leur intérêt et identifié l’histoire avec l’apologie de leur développement politique et social. De ce que l’Angleterre parlementaire et protestante est devenue une grande nation, il y a une tendance naturelle chez beaucoup de ses esprits les plus distingués, à juger impossible pour elle toute autre destinée, à présenter comme des héros et des martyrs ceux qui ont travaillé dans le sens de son évolution, à qualifier de traîtres ou de criminels ceux qui ont lutté dans un autre sens. Il convient de juger avec plus d’équité cette époque passionnée du XVIIe siècle, où précisément se débattirent ces questions vitales de l’histoire d’Angleterre, et l’on ne saurait trop louer l’effort de la nouvelle école historique anglaise pour mieux comprendre les âmes, les mobiles et les actes de ce temps. Pour la première fois, il y a quelques années, un jeune historien anglais a tracé le véritable portrait du fameux juge Jeffreys au lieu de la sanglante caricature que l’on se transmettait d’âge en âge. C’est le même M. Irving, le fils de l’illustre tragédien, qui a montré que les défenseurs les plus estimés de la tradition protestante et parlementaire en Angleterre, Shaftesbury, Russell et Sidney, ont été aussi peu scrupuleux dans les moyens, aussi injustes vis-à-vis de leurs adversaires, aussi esclaves de l’esprit de parti, que Charles II, que Sunderland et que Jeffreys lui-même.

Si l’on essaie de juger la duchesse de Portsmouth dans cet esprit d’impartialité, en tenant compte des passions de son temps et du milieu où elle vivait, il y a certainement à retoucher de nombreux traits de son portrait. Demeurant entendu qu’il est blâmable d’être maîtresse royale et qu’il vaut mieux se marier honnêtement dans son village, on reconnaîtra que pour le devenir elle eut toutes les circonstances atténuantes : la pauvreté, l’opinion de ses contemporains sur les amours royales, une longue résistance, l’intérêt de son roi et de sa religion, l’insistance de tout son entourage et peut-être même un sentiment