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solennelle, elle se demandait s’il n’y aurait pas lieu pour Louis XIV de faire partir pour l’Angleterre un envoyé spécial. « Vous et moi, lui répond Barillon, la traitant en confrère, nous sommes suffisans pour faire ici tous les complimens nécessaires. » Son crédit à la cour de France est plus grand que ne le soupçonne l’ambassadeur lui-même. Quand Charles II demande que Louis XIV érige la terre d’Aubigny en duché pour Madame de Portsmouth et pour son fils, Barillon, tout en transmettant la demande, laisse voir qu’il y trouve quelque exagération, puisque déjà la favorite a les honneurs qu’ont les duchesses en France. Mais Louis XIV s’empresse de lui donner pleine satisfaction : « J’ai ordonné, répond-il, qu’on fît expédier incessamment les lettres patentes de l’érection de ladite terre d’Aubigny en duché et qu’elles vous soient envoyées au plus tôt. » Charles II fut très satisfait et s’empressa d’annoncer la nouvelle à la duchesse qui en témoigna « une joie excessive. »

Elle est devenue en quelque sorte le ministre des Affaires étrangères de Charles II. Quand elle tombe malade, en 1684, il y a un désarroi général. « La maladie de Madame de Portsmouth, écrit Barillon le 6 novembre, apporte une espèce de surséance à toutes les affaires. Le roi est presque toujours dans sa chambre. » Louis XIV s’informe de sa santé avec sollicitude et se réjouit que rien ne puisse affaiblir son crédit. Afin d’assurer à son fils, sans difficulté, au jour de sa mort la succession des biens qu’elle possède en France, Louis XIV, pour lui faire plaisir, signe des lettres de naturalité au jeune duc de Richmond.

Dans sa splendeur, elle prend plaisir à attirer les artistes autour d’elle. Les peintres les plus célèbres du temps se disputent l’honneur de fixer ses traits dans des portraits qu’on peut encore admirer à Goodwood ou à Londres. Les poètes lui dédient leurs œuvres : Otway, sa Venise sauvée, Lee, sa Sophonisba. « J’offre, dit-il, mes adorations à Votre Grâce qui est la plus belle, aussi bien par l’aspect admirable de son corps, que par les splendeurs immortelles de son âme élevée. » De la magnificence qui l’environnait, on peut se faire une idée par l’inventaire qui nous a été conservé de la garde-robe de sa sœur, très inférieure sans doute à la sienne, et par la description émerveillée qu’a laissée Evelyn de son splendide logement de Whitehall, rebâti à trois reprises selon son caprice et qui devait être brûlé en 1691 avec tout ce qu’il renfermait. Il accompagna un matin