Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attitrée des deux monarques, on ne saurait le contester. Où la haine des pamphlétaires les aveugle, c’est quand ils la représentent comme étant dès le premier jour l’instrument de la politique de Louis XIV et n’agissant que selon les ordres venus de France. Lisez les documens du temps, principalement la correspondance, si intéressante et d’une si haute valeur historique, des ambassadeurs français : ce qui en ressort clairement, c’est que la duchesse de Portsmouth n’a été l’instrument de personne. De même que c’est son énergie, son intelligence, son esprit d’intrigue, si l’on veut, et non l’appui secret de Louis XIV, qui ont commencé sa fortune, c’est sa volonté consciente qui l’a dirigée. On l’a représentée comme recevant le mot d’ordre des ambassadeurs français, qui lui auraient fait payer en services auprès du roi l’appui qu’ils lui donnaient pour se maintenir : l’erreur est complète. Nous avons vu Colbert de Croissy, indifférent d’abord à la nouvelle venue, lui prêter quelque temps son concours, et puis l’abandonner, s’aigrir contre elle, s’indigner de la voir poursuivre la réalisation de desseins très différens de ceux du roi de France. Pas plus que lui, son successeur Ruvigny, vieux gentilhomme protestant, assez piètre connaisseur en matière féminine, ne se rendra compte de toute l’influence dont elle dispose et de l’intérêt qu’il y a à tenir compte de ses avis. Courtin, plus porté vers les dames, est davantage assidu auprès d’elle. Mais, au lieu de la protéger dans les rivalités de la cour, il est à demi conquis par Madame de Mazarin. S’il tient à éviter l’apparence d’une disgrâce de Madame de Portsmouth, c’est parce que cet événement aurait l’aspect d’un échec pour la France. Au fond, le ministère français est tout disposé à la sacrifier, le cas échéant. A la description que lui fait Courtin du désespoir de la duchesse, pressentant sa chute prochaine, Louvois répond brutalement : « La scène de la Signora addolorata a assez diverti Sa Majesté. Je suis sûr qu’elle vous avait fort réjoui le premier »

Le « petit » Barillon lui-même, galant et bien vu des dames, d’ailleurs énergique et intelligent, qui, après Courtin, tiendra l’ambassade jusqu’à la fin du règne et la conservera sous le suivant, n’est pas davantage l’inspirateur continu de la duchesse : il leur arrivera d’intriguer en sens diamétralement opposé.

Par le fait, aussi souvent que chez les ambassadeurs de son roi, la duchesse trouva son appui chez les hommes politiques de l’Angleterre elle-même. Buckingham et Arlington, bien plus