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lequel un surintendant évangélique de Westphalie avait montré en Arminius un modèle des vertus chrétiennes : « Séance tenante, écrivait-il, l’éloquent prédicateur a fait faire à l’illustre païen sa première communion. » Ce surintendant a peut-être fait école parmi les jeunes pasteurs venus d’Allemagne qui, séance tenante, aux alentours de minuit, interprétaient des signatures comme des symboles.

A mesure que se multipliaient ces pêcheries d’hommes, des groupes se formaient pour entretenir un pasteur et faire bâtir une église. Les industriels d’origine allemande prêtaient alors une aide active : celui-là louait une salle ; celui-ci versait une subvention royale ; cet autre tenait l’harmonium au service religieux, et transformait en sacristain son premier employé ; tous souriaient aux ouvriers qui prenaient pour eux-mêmes le rôle de fidèles. Les municipalités pangermanistes, quelque catholiques d’origine que fussent leurs membres, donnaient un secours à ces communautés religieuses de bons Allemands. Les brochures politiques locales classaient l’Eglise évangélique parmi les institutions de défense allemande (Schutz und Trutz), entre la Société allemande de pompiers, la Coopérative allemande et la Société d’escrime allemande. Et l’église se dessinait, très grande, pour qu’elle pût abriter les futures conquêtes. Parfois, comme dans la petite localité minière de Klostergrab, ce projet de construction prenait l’aspect d’une revanche de l’histoire : de Klostergrab, en 1618, à la suite de la destruction d’une chapelle évangélique, avait jailli l’étincelle qui avait mis le feu à l’Europe pour trente ans ; et la ferveur des représailles, jouant sur le mot Klostergrab, espérait que dans cette bourgade reconquise les institutions monastiques voisines (Kloster) trouveraient leur tombeau (Grab). La pose de la première pierre donnait lieu, dans toutes ces localités déchirées par la lutte de races, à des manifestations pangermanistes : à Turn, une « colonne de Bismarck » présidait à la cérémonie, et l’on scellait dans les fondations de l’église nouvelle un étui contenant des exemplaires des principaux journaux radicaux qui avaient encouragé la construction et qui d’ailleurs servaient d’organes, en même temps, à la renaissance du wotanisme. On invitait tous les Allemands de l’endroit à participer à la fête ; on leur disait au revoir jusqu’à l’inauguration du monument, et ce jour-là les cloches émancipées, qu’on baptisait volontiers « cloche de la Germanie, » « cloche de Luther, »