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Allemands, qui voulaient que la cité fût allemande, se croyaient provoqués par le clocher, et ils le provoquaient.

M, Bräunlich, au début de 1899, s’en fut en Styrie pour déchaîner les Allemands contre les clochers. L’âpreté des luttes induisait à certaines grossièretés : on accusait tel curé slovène d’avoir traité les Allemands de chiens et de pourceaux. A Marbourg, à Cilli, à Gratz, M. Bräunlich fut avidement écouté ; mais lorsqu’il proposait une religion nouvelle, étudians et professeurs lui laissaient entendre que les sciences naturelles leur en tenaient lieu ; et lorsque à la suite d’une causerie sur Bismarck les bonnes volontés se mettaient à ses ordres, il sentait qu’elles n’y étaient déterminées que par des considérations politiques. Sa peine, cependant, n’était point perdue, puisqu’il travaillait, sinon pour Dieu, tout au moins pour le roi de Prusse et pour la race germanique ; puisque cette race, s’il en faut croire le lyrisme d’Ernest-Maurice Arndt, est « le sel de la terre chrétienne ; » et puisque enfin, par un échange de bons procédés, M. le pasteur Bräunlich faisait en Styrie les affaires du pangermanisme, comme M. le député Eisenkolb, en Bohême, faisait celles du luthéranisme.


V

On s’entendait, entre alliés, pour présenter la Réforme aux Allemands d’Autriche comme la « forme allemande du christianisme, » comme le « christophore qui porte et promène l’esprit germanique ; » on chantait, d’un même cœur, que « la Germanie entière (Alldeutschland) devait prier dans son propre dôme, » dans une cathédrale qui fût bien à elle ; et les auditeurs concluaient : « Si l’Eglise de Luther est l’Eglise nationale des Allemands, tous les Allemands y doivent entrer. » Etre protestant, c’était paraître et devenir Allemand. Les attraits de cette apologétique nationaliste risquaient de faire oublier aux pasteurs du pur Evangile le caractère universel du christianisme. Laissant à l’Eglise romaine la tâche parfois ingrate de faire s’incliner toutes les nations devant la paternité d’un Dieu commun, ils se servaient de la religion qui voulut unir les peuples, pour rendre plus hautes et plus abruptes les barrières qui les séparent. Les consciences allemandes ne se devaient agenouiller que devant un Dieu allemand ; ce Dieu, la Réforme le fournissait.

Mais il est des rapetissemens auxquels la physionomie du