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lugubre scène, le long vote à la tribune, les députés s’avançant tour à tour également consternés, quelques-uns chancelans, d’autres laissant tomber leur bulletin dans l’urne avec un geste accablé, et le vague murmure planant au-dessus de la foule comme un frémissement d’amour et de pitié devant la patrie mutilée. Le sacrifice étant consommé, les ratifications furent emportées le soir même à Paris par un secrétaire de la Délégation, M. Delaroche-Vernet, qui les remit le 2 mars à M. Jules Favre. Elles furent échangées le lendemain contre celles de l’Allemagne.

Nous rentrâmes quelques jours après au ministère où nous fûmes cordialement accueillis et remerciés de nos efforts. Notre chef, devenu membre du Parlement, quittait momentanément la carrière active, mais il demeurait entouré de la haute estime de tous les partis. On lui savait gré, bien qu’il n’eût pas réussi à entraîner l’intervention des neutres, d’avoir défendu fièrement les intérêts qui lui avaient été remis et conduit notre diplomatie avec une habileté à laquelle les représentans des Puissances, à Tours et à Bordeaux, se plaisaient à rendre hommage. En somme, au milieu de la tourmente, entravé par la politique de l’ennemi, par les invincibles hésitations de l’Europe, par les implacables rigueurs de la fortune, et souvent par les déconcertantes erreurs de son gouvernement, il avait fait tout son devoir et tenu fermement le drapeau. Les illusions personnelles qu’il avait conservées ne sauraient lui être reprochées puisqu’elles ne l’ont jamais conduit à des démarches hasardées : elles lui étaient d’ailleurs nécessaires pour qu’il pût se dévouer sans défaillance à la tâche ingrate que j’ai essayé de retracer.


Cte CHARLES DE MOÜY.