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En arrivant à Bordeaux vers minuit, nous trouvâmes la ville enveloppée dans un épais brouillard. Les hôtels étaient remplis ; nous eûmes peine à trouver un gîte. Le lendemain, la Délégation installa ses bureaux dans une très étroite maison, haute de quatre étages, rue Esprit-des-Lois. M. de Chaudordy occupait, au premier, un grand cabinet de travail, où il plaça M. de Geofroy et moi auprès de lui. Les secrétaires et attachés furent répartis aux étages supérieurs : un lit de camp fut dressé dans la salle réservée pendant la journée aux employés du chiffre ; chacun de nous devait faire alternativement le service de garde durant la nuit.

Bordeaux ne présentait pas la physionomie étrange qui nous avait frappés lors de notre venue à Tours. Le surcroît de population amené par les événemens ne modifiait pas beaucoup, au moins dans les premiers jours, le mouvement général d’une cité très vaste et en tout temps si animée. Puis, à cette distance des régions occupées par les armées, et les effectifs s’étant depuis trois mois concentrés sur les différens points stratégiques, il n’y avait plus autour de nous ces agglomérations de troupes, régulières et irrégulières, qui remplissaient le chef-lieu de la Touraine de tumulte et de bruit. Bordeaux nous parut donc relativement calme, et ce ne fut que plus tard que le nouveau centre du gouvernement reçut un contingent considérable d’hommes politiques, de solliciteurs, de francs-tireurs dispersés, de troupes récemment formées dans le Midi, de familles éloignées de leurs foyers, de curieux attirés de tous côtés par le désir d’assister aux incidens, à l’émouvant spectacle de la dernière scène du drame.

La translation de la direction politique et militaire à Bordeaux indiquait assurément le déclin de la Défense nationale, mais tant que la lutte continuait, la Délégation avait le devoir de prévenir par sa conduite une telle interprétation de l’acte qui venait de s’accomplir. Notre travail ne fut donc, en quoi que ce fût, modifié, et nous reprîmes, dès le lendemain de notre arrivée, le cours de nos pourparlers avec les représentans des Puissances au point où nous les avions laissés à Tours. Le délégué, pour bien établir que, loin d’hésiter, nous restions inébranlables dans le même ordre d’idées et ne cessions de réclamer l’armistice éventuel et l’intégrité de notre territoire, proposa aux Cabinets une combinaison qui, par une autre voie, visait le même but. Puisque ceux-ci reculaient devant une intervention directe et nettement formulée en ce sens, il pensa que peut-être, en élargissant le