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un témoignage de la fermeté du gouvernement et de l’attention vigilante qu’il donnait à nos intérêts partout où ils étaient engagés. Lorsque M. Sénart, envoyé en Italie par M. Jules Favre, nous compromit par des imprudences de langage qui semblaient encourager de ce côté des prétentions rétrospectives, il n’hésita pas à remplacer ce personnage inexpert par un agent de carrière, M. Rothan, que ses talens éprouvés désignaient à son estime. Plus tard, il nommait à Berne le marquis de Châteaurenard, ministre plénipotentiaire alors sans poste, au cours d’un différend avec la Suisse dont je parlerai plus loin. Enfin, il chargea l’un de nos agens les plus distingués, M. Baudin, naguère titulaire de notre légation à La Haye, de nous représenter à Constantinople, afin d’y maintenir dans toute son étendue notre situation politique et religieuse en Orient. Nous montrions de la sorte que nos soucis immédiats ne nous faisaient point négliger nos affaires accessoires, et, en même temps, ces décisions consolidaient et complétaient les cadres de nos services extérieurs.


V

Tandis qu’avec tant de ténacité et de clairvoyance la Délégation disputait partout le terrain aux influences adverses, un incident particulièrement significatif vint rendre sa mission plus pénible encore. Les progrès des armées allemandes au delà d’Orléans obligeaient tout à coup le gouvernement de province à quitter Tours, où sa liberté d’action était exposée aux atteintes directes de l’ennemi. Il fallait transporter plus loin le siège du pouvoir dépositaire des ressources de la patrie. Je n’ai pas à apprécier ici les diverses considérations qui firent choisir la ville de Bordeaux, si éloignée qu’elle fût du théâtre des opérations militaires : le fait important, d’ailleurs, n’était pas la désignation de telle ou telle résidence, mais la nécessité d’un départ qui constatait le désastreux état des choses et qui parut à tous un nouveau revers. Il est vrai que les optimistes combattaient ce sentiment : ils soutenaient que les administrations de l’Etat exerceraient mieux leur action dans une grande cité, que leur installation, plus complète et plus imposante, démontrerait la résolution réitérée de la lutte à outrance, et que même, en faisant redouter à l’Allemagne et aux Puissances une guerre interminable, elle inciterait plus vivement les neutres à intervenir.