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considéraient que chacune des deux parties justifiait son opinion par des raisons péremptoires, car ils s’abstinrent de toute insistance. Et même, quand M. de Chaudordy, pour éviter le reproche d’intransigeance, essaya, après le succès de Coulmiers, de revenir sur la question en suggérant qu’une entente serait possible peut-être au moyen d’une trêve plus courte et d’un ravitaillement réduit, il n’obtint des Cabinets que quelques bonnes paroles, et rien ne les fit sortir de la réserve qu’ils s’étaient imposée désormais en présence de prétentions inconciliables. Vainement encore la Délégation leur demanda-t-elle d’exprimer au moins un simple vœu favorable à l’intégrité de notre territoire ; son argumentation, fondée sur le système du vote préalable des populations, ne fut accueillie que par un assentiment théorique : ni le péril imminent d’une altération de l’équilibre, ni la crainte de consacrer par leur silence le droit de conquête, n’eurent assez de puissance sur les Cours terrorisées pour les amener à exprimer ne fût-ce que le désir de voir respecter l’un des meilleurs progrès du droit international moderne. M. de Chaudordy, en s’attachant à une doctrine si équitable, servait tout ensemble nos intérêts et les principes plusieurs fois admis par la diplomatie contemporaine. Sa conduite en ce moment, comme dans la précédente affaire de l’armistice, demeurait donc très correcte et opportune, et c’était avec peu de justice que M. Thiers, mécontent d’une politique moins résignée que la sienne, lui disait un jour avec aigreur : « Vous autres, vous n’êtes pas des hommes d’État ! » Il semble bien, au contraire, que le délégué ait mérité ce nom par l’élévation et la constance de sa polémique, et qu’il ait fait œuvre d’homme d’Etat en défendant non seulement la dignité et l’intégrité de son pays, mais encore l’ordre général de l’Europe menacée dans le présent et l’avenir par la souveraineté de la force et le mépris du droit.


IV

L’impassible attitude de la Délégation était d’autant plus honorable que le cours des événemens nous devenait de plus en plus contraire. Pendant que, conformément à son devoir et à sa conviction, elle continuait de combattre l’influence de l’ennemi dans les conseils des Puissances, de discuter les objections que de médiocres calculs suggéraient aux neutres, et d’éclairer nos