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était le développement et le commentaire de ses télégrammes. Le laborieux service des consulats et chancelleries, de la comptabilité et du chiffre, imposait un labeur continuel et plus rude encore que le nôtre aux fonctionnaires spéciaux que le département nous avait adjoints.


II

La Délégation, dès son arrivée à Tours, fut logée au second étage de l’Archevêché, dans une sorte de grande salle d’étude située au-dessus de l’appartement cédé par le prélat à M. Crémieux. Nous étions là campés sur quelques tables volantes et assez mal à l’aise pour nous recueillir et nous isoler dans nos attributions respectives. Heureusement, dans ce quartier paisible, au fond des vastes cours de la demeure épiscopale, nous étions assez éloignés de la foule bruyante qui encombrait la rue centrale de la ville. Le spectacle étrange que présentait alors cette cité habituellement si calme a été exactement décrit par plusieurs auteurs et je n’en parle que pour mémoire. J’ai encore devant les yeux le remous de cette multitude agitée : groupes inquiets et flottans ; débris de l’ancienne armée ; officiers et soldats des corps réorganisés ; troupes de la garde mobile ; francs-tireurs sérieux ou de fantaisie, revêtus de costumes bizarres ; sur la chaussée et les trottoirs, devant les cafés, aux alentours des bureaux de la Guerre et de l’Intérieur, partout où il y avait à surprendre une indication, une rumeur quelconque, on voyait aller et venir les passans tumultueux, se former des rassemblemens confus où s’improvisaient des discussions stratégiques, où se colportaient et se commentaient les nouvelles parmi la circulation du matériel de guerre. La ville débordait sous la pression d’une population imprévue, affairée et vibrante, des régimens qui séjournaient en attendant leurs ordres, de corps francs, parfois traînards ; il y avait là toute une armée de fonctionnaires civils venus de Paris, de journalistes en quête de détails émouvans, d’habitans des provinces voisines, et aussi de gens attirés par la présence d’une ombre de gouvernement, passionnés, prenant le vent, solliciteurs et curieux ; et ces agglomérations se mêlaient en plein air, à grand bruit.

Ce mouvement, cet enthousiasme et ces palpitations populaires pouvaient être à la rigueur considérés comme un entraînement