influence se trouvait ainsi sensiblement diminuée, et il ne représentait en vérité pour les Cabinets neutres qu’une sorte d’ambassadeur avec qui les négociations gardaient un caractère indécis et flottant, puisqu’il dépendait d’un gouvernement d’abord non reconnu et, ce qui était plus grave, invisible. La diplomatie française allait donc être soumise à deux autorités inégales, et l’une et l’autre fictives, celle-ci n’ayant droit de se produire que sous réserve, et celle-là étant hors d’état de se manifester en temps opportun. M. de Chaudordy devait être, pendant tout le cours de sa gestion, gêné par cette disposition des choses : on lui donnait trop ou trop peu, et il a fallu toutes les ressources de son esprit et la prudence de sa conduite pour que sa mission conservât quand même le caractère le plus élevé, ne donnât lieu à aucun conflit, et obtînt jusqu’à la fin les sympathies et la confiance des Cours.
On doit convenir que ces défauts de la Délégation étaient le fait des circonstances où elle avait été improvisée, et que le gouvernement central, en présence des décisions fondamentales qu’il avait à prendre sous sa responsabilité, ne pouvait se dessaisir de ses attributions souveraines. Le poste était ambigu par la force des choses. Il semble cependant qu’il eût été possible, sans développer outre mesure la compétence du délégué, de donner à sa mission à la fois plus de ressources et de solidité, en l’entourant d’un personnel plus nombreux et de quelques agens de rang élevé. Sans doute il suffisait pleinement à la direction générale ; mais, si l’on eût placé sous ses ordres des conseillers autorisés, bien choisis dans la carrière, on eût certainement facilité son travail et affermi ses moyens d’action et son prestige. M. Jules Favre et M. de Chaudordy auraient dû, je crois, mieux organiser la Délégation et la rendre plus robuste. Mais je me souviens qu’alors on n’avait qu’une idée assez obscure du rôle qu’elle aurait à jouer ; puis, le temps pressait, l’ennemi allait investir Paris ; on se hâta donc de désigner dans les bureaux quelques collaborateurs strictement nécessaires, presque tous très jeunes et de grade inférieur : ce n’était pas là, quels que fussent notre dévouement commun et le mérite de plusieurs de nos collègues, la mission imposante et forte qu’en toute hypothèse il eût été opportun de constituer.
Ces réserves faites, il me sera permis, je pense, puisqu’il s’agit ici d’un labeur collectif, d’en constater la valeur et la persévérance.