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supérieures répondait bien aux nécessités d’une mission militante, exposée peut-être à tant de péripéties.

Le comte de Chaudordy se recommandait par des mérites d’un autre ordre. C’était un homme d’initiative prompte et accentuée : après avoir obtenu ses premiers grades à l’étranger, il avait complété son instruction politique et mondaine dans le poste de chef du cabinet pendant le long ministère de M. Drouyn de Lhuys. Assez médiocre écrivain, nullement orateur, il séduisait par la verve de sa causerie, par la fermeté décisive de son langage familier, par une causticité aimable, un peu brusque en apparence, mais toujours originale et pénétrante. Sans donner à sa pensée une forme impérieuse, il la présentait comme l’expression même du bon sens et de la sagesse pratique. Méridional du Languedoc, il avait tout l’esprit alerte et délié de sa race, le mot vif et saisissant, et en même temps une volonté, une ténacité irréductibles. Après la retraite de M. Drouyn de Lhuys, et pendant une disponibilité assez longue, il avait gardé une attitude de demi-disgrâce, avec une réserve discrète, nuancée d’opposition, et quand, au lendemain de nos premiers revers, il fut appelé à diriger le cabinet du prince de La Tour d’Auvergne, il parut presque un homme nouveau. Il voulait s’éloigner après le 4 Septembre, mais il céda aux instances de M. Jules Favre, qui invoquait son ardent patriotisme. En réalité, étranger aux décisions funestes qui avaient amené la guerre, n’étant lié par aucun devoir de fidélité dynastique, il était libre de servir le pays sous un autre régime, surtout lorsqu’il s’agissait non pas de telle ou telle forme politique, mais de résistance à l’ennemi.

Après une hésitation assez longue, le ministre jugea préférable de se réserver la collaboration de M. Desprez à Paris et d’envoyer M. de Chaudordy à Tours. Ce dernier lui parut particulièrement propre à une mission très active, à cette multitude de démarches rapides et insistantes que la situation même imposait au chef d’une délégation aussi aventurée. Son choix était donc très bien justifié, mais il faut reconnaître que le rôle du délégué demeurait fort vague et sa tâche indéterminée. Ce fonctionnaire, chargé de diriger les services extérieurs et d’amener, s’il était possible, l’intervention diplomatique des neutres, restait cependant subordonné à un ministre qui, renfermé dans Paris, ne pouvait ni l’inspirer, ni le conduire : on comptait sur son initiative, qui risquait toujours d’être désavouée ; son