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parisienne l’accueil qu’ils y avaient autrefois, blessés de quelques échecs éprouvés, soit dans le monde, soit au club de l’Union, sont animés de sentimens malveillans qu’ils ne savent pas mettre de côté dans les jugemens qu’ils portent sur les dispositions de la population de Paris. Ils fréquentent les endroits publics, les cafés et les théâtres, y écoutant et recueillant les conversations, les propos du public ; ils adressent ensuite à leur chef des rapports que celui-ci transmet aveuglément à Berlin où ils causent une mauvaise impression : le langage de buveurs, d’orateurs de café, parlant de la revanche prochaine, du non-paiement des trois derniers milliards, est pris comme l’expression des sentimens de tous les Français.


Tous ces jeunes gens de l’ambassade, et l’ambassadeur avec eux, connaissaient-ils si imparfaitement les Français, qu’ils aient pu croire que la société parisienne allait se précipiter au-devant d’eux, comme si le récent triomphe de l’Allemagne ne faisait que leur ajouter un prestige de plus ; et quelles histoires leur avait-on contées des catastrophes précédentes, qu’ils s’attendissent si peu à cette réserve qui, bien que spontanée, et non commandée, s’imposait comme une pudeur du patriotisme ? En tout cas, parce que l’on ne « se jetait pas à leur tête, » — si nous pouvons nous permettre cette expression, — ce n’était pas un motif pour vouloir rejeter deux grandes nations l’une contre l’autre. Cependant, la vanité du comte d’Arnim, froissée outre mesure de ne point rencontrer à Paris le théâtre où il avait espéré briller, ne se consolait pas de sa déception, et c’était l’heure où son ambition s’allumait. Il affecte dès lors des allures ignorées de la diplomatie classique ou simplement correcte, sans qu’on sache précisément pour combien, dans cette affectation, entre son désir d’afficher son esprit, qu’il ne se résigne pas à cacher, et pour combien le goût, éveillé ou réveillé chez lui, de l’intrigue :


Monsieur le Président, j’ai besoin d’avoir avec vous une petite causerie de conspirateur dont les journaux ne crient pas les détails sur tous les toits. Si vous pouvez me recevoir demain vers midi, je viendrai à Versailles ou en chemin de fer ou à cheval...

P.-S. — Pour me donner un air mystérieux, j’entrerai par la porte du côté de M. de Rémusat.


M. Thiers, pour qui le fond emporte la forme, — et le fond, c’est ici la question du mode de paiement des trois derniers milliards, avec, au bout, la libération totale et définitive, la délivrance, — néglige la forme et répond :


Il est bien difficile, hélas ! d’échapper à ces méchans yeux servis par de mauvaises langues, qu’on appelle les journaux. Jamais, en effet, je n’ai vu