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Paris à Londres avait ébranlé de nouveau sa frêle santé et l’obligeait à des ménagemens.

— C’est à lui de venir vers vous, lui dit le comte Orloff, et non à vous d’aller à lui. Donnez-lui rendez-vous au Havre ou à Dieppe.

Elle suivit ce conseil, écrivit dans ce sens à son mari et quitta Londres pour aller attendre sa réponse à Paris. Mais, en chemin ses forces la trahirent. Elle dut s’arrêter à Abbeville. A la suite d’une violente hémorrhagie, elle y fut durant plusieurs jours entre la vie et la mort. Elle ne put regagner Paris qu’au bout d’une semaine et y rentra littéralement épuisée.

Elle se remettait à peine de cette secousse lorsque la réponse de son mari, en date du 2 août, vint ajouter à ses souffrances physiques une souffrance morale bien autrement cruelle. Il lui « ordonnait » de quitter sur-le-champ Paris et, après avoir formulé « des menaces vagues » il terminait ainsi : « J’exige une réponse catégorique, car je suis obligé moi-même de rendre compte dans un délai donné des résolutions que j’aurais à prendre en conséquence d’un refus de ta part. »

Ces paroles indiquant clairement une volonté supérieure à celle de son mari. Mme de Liéven, après avoir protesté contre la rigueur de ses ordres, lui décrivit longuement ses maux et appuya ses dires des consultations médicales auxquels ils avaient donné lieu. Mais elle prêchait en pure perte. Ses protestations eurent pour résultat de lui attirer cette foudroyante réplique. « Mes lettres ne t’ont pas laissé de doutes, j’espère, que je suis tenu à insister que tu viennes me rejoindre. Je t’ai prévenue qu’en cas de refus, je serais obligé de prendre des mesures qui me répugnent. Je te déclare donc aujourd’hui que si tu ne viens pas, je te retire toute subvention. Je dois aussi prévoir le cas où tu me laisserais sans réponse, et t’avertir encore que si, dans un délai de trois semaines, elle ne m’était point parvenue, je serais obligé d’agir comme s’il y avait refus de ta part. »

Profondément blessée par des accens si nouveaux pour elle, clouée à Paris par l’état de sa santé, incapable « de faire pour de l’argent ce qu’elle n’a pu faire par dévouement et par affection, » comprenant enfin que son mari n’est qu’un instrument dans les mains de l’Empereur et qu’elle sera impitoyablement sacrifiée, c’est à l’humanité du maître que derechef elle a recours. Après avoir consulté ses amis de Paris, M. de Médem