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servir d’un moyen si usé ; et puis, si je me portais bien, je serais au contraire très tenté de prendre ma bonne santé pour prétexte d’une visite à faire à Votre Excellence.

Le fait est que je souffre beaucoup et que je ne puis parler sans inconvénient.

Vous savez, Monsieur le Président, que l’incident dont on s’occupe tant a fini par m’obliger à une correspondance avec M. de Bismarck. Je compte sur sa réponse dans le plus bref délai, sans prévoir de quelle nature elle sera.

L’Assemblée nationale paraît avoir oublié qu’en agissant comme elle a cru devoir le faire, elle a saisi le public allemand de la question, qui jusqu’alors ne s’était pas mêlé au débat.

Le despotisme le moins éclairé est certainement celui de M. Tout-le-Monde.


Y avait-il, dans cette dernière phrase, une intention de persiflage ? M. Thiers ne la relève pas, et, s’il éprouve, du ton de M. d’Arnim, quelque surprise, il s’attache à ne le point marquer. Il se contente de lui donner en passant, légèrement et à la française, une leçon douce et enveloppée, usant d’une courtoisie, d’une complaisance d’autant plus grande qu’on en use moins envers lui-même :


J’ai appris avec beaucoup de regret que votre maladie était bien réelle. Mais j’ai été rassuré eu apprenant qu’elle était peu grave, quoique douloureuse. Je n’ai donc pas besoin d’être édifié, croyez-le, et je ne doute pas de votre désir de mener à fin, et surtout à bonne fin, la négociation que nous avons commencée ensemble... M. de Rémusat est arrivé aujourd’hui. M. Pouyer-Quertier était arrivé hier. Nous sommes donc trois à votre disposition, et, s’il vous était plus commode de transporter la négociation chez vous, soyez convaincu que, pour ma part, je le ferais bien volontiers.


Vainement : la leçon n’est pas entendue. Peu à peu, et par le fait même que ses qualités ne trouvent pas à s’employer ou à se déployer, les défauts du comte Harry d’Arnim font saillie, et son caractère se dessine. M. de Saint-Vallier, à son tour, et probablement d’après M. de Manteuffel, en trace une esquisse assez peu flattée :


Je sais que l’ambassadeur d’Allemagne à Paris nous juge mal et sévèrement, et je crois que ses rapports nous nuisent dans l’esprit de son gouvernement ; j’ai lieu de supposer, du reste, que M. d’Arnim est sincère dans sa manière de voir, qui tient plutôt à la nature de son esprit étroit et méticuleux, guidé par une opinion préconçue, qu’à un sentiment d’hostilité arrêtée contre nous. Le fâcheux effet n’en est pas moins le même et a surtout pour cause le mauvais entourage de l’ambassadeur : les jeunes gens qui composent son personnel, mortifiés de n’avoir pas rencontré dans la société