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je le crois accoutumé à moi, pas du tout ennuyé de ma société, et quelquefois même il me paraît qu’il y trouve du plaisir. Ce qui est bien visible en lui, c’est une envie et une volonté positive de bien faire, d’écouter, de recueillir, de profiter de ce qu’il entend. Les bons jours sont ceux où j’attrape un compère, car comment faire naître des sujets intéressans si personne ne m’interroge ? C’est égal qui, mais il faut quelqu’un qui ait idée ou curiosité du reste de l’Europe. Alors j’enfile un peu de l’histoire de mon temps ; un peu d’anecdote ; quelque bêtise au milieu du sérieux, et je vous assure que le grand-duc suit cela des yeux et des oreilles avec une attention charmante. Je persévère dans mon système de le faire raconter, et sa jeune vie, toute courte qu’elle soit, nous fournit encore tous les jours des thèmes nouveaux ; il y a beaucoup de sentiment en lui. Ses impressions, il sait fort bien les décrire, et sa charmante physionomie supplée à ce qui quelquefois lui manque comme expression de parole. C’est cela qu’il me paraît essentiel de pousser en lui. C’est cela que l’Empereur possède à un haut degré ; il exprime toujours sa pensée avec énergie, clarté en même temps qu’élégance de langue. Je voudrais que le grand-duc sache l’imiter. Cela viendra.

« Les grands-ducs et grandes-duchesses ont eu hier soir une soirée qui les a fort amusés. Je fais commencer à sept heures juste, ce qui fait que tous peuvent en jouir, et je vous assure que les petits grands-ducs Nicolas et Michel sont tout aussi réjouis de voir danser, que le sont les autres de danser eux-mêmes. Madame Olga a une tenue charmante ; elle parle avec bonté et obligeance à tout ce qui est convenable ; elle s’amuse comme un enfant, fille d’empereur. Ils sont tous délicieux, leur attachement à leurs parens est vraiment touchant à voir ; c’est des joies, des transports, quand arrive une lettre ou seulement des nouvelles. Le grand-duc héritier est tout accoutumé à moi ; il subit ma société comme si elle lui plaisait. Avant-hier, le comte Nesselrode a passé la soirée chez moi ; c’était pour moi un jour de fête et une très bonne fortune pour le grand-duc. Nous lui avons fait nous raconter l’histoire vivante des années 1813 et 1814. On ne peut mieux apprendre l’histoire qu’en l’entendant raconter par les auteurs. Aussi le grand-duc était-il tout attention, tout intérêt. Voilà des séances qui valent bien des leçons. »

De ce qu’on vient de lire, on a, semble-t-il, le droit de conclure que la satisfaction de la princesse, à cette heure de sa vie,