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de Cumberland, haï fort généralement en Angleterre, dont le nom se trouvât mêlé là dedans, pour que le public s’en occupât infiniment plus que cela ne méritait.

« Lord Graves fut instruit, par des caricatures exposées dans les boutiques, des bruits qu’on répandait sur cette liaison. Il y eut des scènes de ménage, qui lui laissèrent la conviction entière que c’étaient là de pures calomnies et qui n’avaient qu’un but politique, celui de nuire de plus en plus au duc de Cumberland. La paix était parfaitement faite entre mari et femme, et leur résolution prise de se montrer beaucoup dans le monde ensemble pour faire taire ces bruits, fait qu’attestent même plusieurs lettres écrites par lord Graves à sa femme. Il résidait à Londres, ayant une place dans les douanes, et elle était à la campagne.

« Il y a quinze jours qu’il reçoit une lettre anonyme contenant des fragmens de diverses gazettes qui toutes rendaient compte d’une manière déshonorante pour lui de sa réconciliation avec sa femme, insinuant qu’il avait été payé pour cela. Il était seul dans sa chambre de toilette ; il prend son rasoir et se coupe la gorge. L’enquête est faite sur le cadavre. Le domestique dépose seulement que son maître était depuis quelque temps attaqué de mélancolie et le jury déclare qu’il s’est tué dans un moment de folie. Tout cela fut fait dans l’espace de quelques heures. Le public y a vu une précipitation suspecte, et vingt-quatre heures après, les journaux annoncent que c’est le duc de Cumberland qui a assassiné lord Graves.

« On ne saurait se figurer la sensation qu’a produite cette catastrophe. Il n’y a pas un homme sensé qui ne voie l’absurdité d’une pareille allégation ; il n’y en a pas un qui ne trouve qu’en mettant même les choses au pire, c’est-à-dire que lord Graves crût à l’infidélité de sa femme, il fallait jouer de malheur pour tomber tout juste sur un mari qui ne voyait de remède à cela qu’en se coupant la gorge. Mais, quoi qu’il en soit, ce qui eût valu à tout autre un sentiment de profonde commisération de se trouver la cause innocente d’une aussi tragique histoire, a attiré sur la tête du duc de Cumberland un orage d’imprécations et de haine comme on n’en a jamais vu d’exemple. C’est un petit triomphe pour les ministres, dont ils ont lieu d’être si contens qu’on les soupçonne, non sans fondement, d’encourager toutes les horreurs qui se débitent. La conséquence est certainement déplorable pour le duc de Cumberland. Ses amis lui ont conseillé de