Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pièces, dont le profil est celui que Piero di Cosimo a dessiné dans une fresque de la Sixtine.

Après les hommes de guerre, quelques-uns des humanistes groupés autour de la cour pontificale peuvent être reconnus. Derrière le gouffre qui engloutit Cora, Dathan et Abiram, un homme grave et tout de noir vêtu, qu’accompagne un adolescent, paraît être Pomponio Leto, le savant qui ressuscitait, dans la ville des papes, quelques rites antiques et qui s’entourait d’une cohorte à demi païenne, dont il se disait le Pontifex maximus. Entre les humanistes, ceux qui se laissent le plus sûrement reconnaître sont les Grecs émigrés, dont Paul III désignait les portraits à l’un de ses cardinaux. Tandis que les Italiens ont le visage soigneusement rasé, les Grecs continuent de porter, à la mode orientale, les moustaches et la barbe longue. Bessarion, le défenseur de Platon, était mort depuis dix ans lorsque la décoration de la Sixtine fut entreprise. Pourtant son image fut placée comme le portrait d’un vivant au milieu de la fresque qui représente le Passage de la Mer-Rouge. C’est Bessarion qui porte la pourpre cardinalice à côté de Moïse : à l’hermine de la cappa se mêle cette barbe longue et soyeuse qui coûta peut-être au grand prêtre de l’hellénisme chrétien la tiare pontificale. Après la mort de Nicolas V, le nom de Bessarion réunissait des partisans, lorsque le cardinal français Alain de Taillebourg invoqua contre le cardinal grec les canons qui interdisaient le port de la barbe aux prêtres de l’Eglise romaine.

Tandis que l’apôtre des doctrines platoniciennes figure dans l’histoire de Moïse, le champion d’Aristote, Georges de Trébizonde, a trouvé place dans l’un des groupes qui se suivent sur la paroi opposée. Sa tête basanée aux moustaches de janissaire se détache énergiquement au milieu de l’assemblée bourgeoise que Cosimo Rosselli a rangée sur la montagne où le Christ prononce le sermon des Béatitudes.

Dans la fresque voisine, celle de la Vocation des Apôtres, un Grec, dont la barbe blanche fait ressortir la face rougeaude, porte un chapeau noir. Faut-il reconnaître à ce signe Théodore Gaza, en rappelant le mot de Paul III, cité par Fulvio Orsini ? En vérité, le portrait de Gaza, gravé dans les Éloges de Paul Jove, n’a aucune ressemblance avec le bonhomme au chapeau noir peint par Ghirlandajo dans la Chapelle Sixtine. Ce personnage rubicond rappelle bien plutôt le portrait que le même Paul