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Moïse créé par le peintre florentin mérite une place, dans l’admiration des hommes, à côté du Moïse de Michel-Ange et du Moïse d’Alfred de Vigny. Etudiée à sa date, en face du vigoureux patriarche peint par Signorelli, la figure du Moïse de Botticelli paraîtra manquer d’énergie virile. En effet, l’artiste qui a conçu cette figure attristée et affaissée était attiré invinciblement vers la mobilité et la fragilité de la grâce féminine. Peintre de Madones entourées d’Anges qui semblent des femmes, il était aussi le peintre de la Judith au corps onduleux et à la démarche dansante. Dans la Sixtine, le roman biblique de Moïse et de la fille de Jéthro offrait à sa fantaisie un chapitre profane de l’Histoire sainte. Botticelli revêtit les bergères de tuniques flottantes ; il suspendit à leurs épaules des écharpes aériennes ; il donna à leurs visages un sourire à la fois craintif et ravi ; il plia leur corps gracile dans des attitudes qui semblent accompagner le rythme d’une musique lente. Le bocage élevé au milieu du désert se métamorphose en asile des nymphes : il eût suffi qu’une autre des sept filles de Jéthro vînt poser ses pieds nus sur le gazon fleuri et unir ses mains longues aux mains de ses deux sœurs, pour que Botticelli eût fait éclore, dans la chapelle du pape, le groupe des Trois Grâces qui accompagneront, sur le tableau destiné à une villa des Médicis, le triomphe de Vénus et de Primavera.


III

Les fresques de la Chapelle Sixtine dans lesquelles un Botticelli et un Signorelli, un Ghirlandajo et un Pérugin ont réalisé leur vision d’une humanité musculeuse ou nerveuse, calme ou agitée, mue par la volonté consciente et rigide ou par le flot incertain des passions, prennent cependant, pour qui le regarde d’ensemble, un air de famille, en qui s’effacent les traits individuels de chaque maître. Florentins et Ombriens ont beau concevoir chacun à sa manière, et parfois avec une originalité qui saisit, le type et l’action des personnages traditionnels, drapés à l’antique : ils se trouvent d’accord pour donner dans leurs fresques le moins de place possible à ces personnages ; ils enveloppent l’histoire biblique ou évangélique et l’étouffent dans une foule de comparses qui se ressemblent, d’une fresque à l’autre, parce