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Je connais les hommes et les choses, et je vois, sans y être, tout ce qui a dû se passer entre M. de Bismarck et de M. de Manteuffel. Ce sont là misères humaines avec lesquelles les hommes d’État doivent vivre comme les médecins avec les maladies. Dites bien à M. de Manteuffel que je suis désolé de ce qui est arrivé et de le voir compromis à cause de l’intérêt qu’il nous a témoigné, intérêt qui prouvait autant sa générosité que son intelligence des vrais intérêts de son pays.... Du reste, il a si bien servi comme militaire et comme diplomate que ce nuage n’est que d’un instant, et que son roi, qui est à la fois honnête et sensé, ne pourra pas ne pas lui rendre justice.


Qu’y a-t-il au fond de ces « misères d’hommes d’Etat ? » De la part des Allemands, quelque chicane soulevée par les bureaux de la Chancellerie, quelque histoire de M. de Waldersee ou de l’Etat-Major ; de la nôtre, quelque maladresse de Jules Favre, quelque imprudence de la presse ; des riens qui peuvent tout ébranler et tout faire crouler. Il est malaisé d’être plus impolitique que ne le sont nos journalistes de ce temps-là, et, à leur tête, dans le Soir, Edmond About, qui ne sait pas résister à la tentation, dangereuse pour d’autres, et plus dangereuse pour d’autres que pour lui-même, de croiser sa plume irrévérencieuse avec le sabre, non rengainé encore, du vainqueur. Chacune de ces chicanes, de ces histoires, de ces maladresses ou de ces imprudences vaut à M. Thiers un surcroît de souci et de fatigue ; personnellement, il ne s’en émouvrait guère, mais il en redoute les conséquences. Il prévoit et prévient les représentations de Manteuffel :


Je me mêle peu des journaux, habitué que je suis à leur bavardage. Mais, cette fois, j’ai fait une démarche, et je suis certain qu’elle sera efficace. Du reste, je sais que vous ne donnez à ce côté de la politique qu’un médiocre intérêt, et je ne vous en parle que pour que vous soyez convaincu que je ne négligerai jamais rien de ce qui pourrait vous toucher beaucoup ou peu. J’espère que ces petites mésaventures ne vous décourageront pas, et que vous continuerez à nous faciliter la solution des affaires suscitées par l’occupation. Croyez que, de notre côté, nous ne négligerons rien pour rendre faciles les rapports entre les deux nations.


Il n’y a rien à négliger, en effet, pour « rendre ces rapports faciles, » car, malgré la bonne volonté mutuelle de M. Thiers et de M. de Manteuffel, trop souvent, ils ne le sont pas. On lit à Berlin jusqu’à la dernière ligne, jusqu’au feuilleton, tout ce qui se publie en France, et on émet la prétention que tous les Français en soient responsables. C’est encore le Soir, et c’est