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et menaçant qui dresse devant la forteresse papale ses créneaux encore visibles sous les restaurations qui ont empâté leurs dents, c’est la Chapelle Sixtine.

L’intérêt des artistes et la curiosité des érudits se sont portés de nos jours vers le vieux Vatican. Les murailles qui ont offert quelques-unes de leurs parois aux pinceaux des maîtres souverains avaient été en partie tapissées par les peintres les plus doux et les plus fiers du XVe siècle. Les pèlerins de l’art retrouvèrent, derrière la muraille sur laquelle tourbillonne la bataille de Constantin, la chambrette paisible et retirée où Fra Angelico était venu travailler pour Nicolas V, quarante ans avant la naissance de Raphaël. Au temps où l’étage des Stanze était l’appartement de César Borgia, les chambres de l’étage inférieur, habitées par Alexandre VI, avaient été décorées par le Pinturicchio. L’« appartement Borgia, » fermé et presque oublié depuis le jour où Jules II avait abandonné le lieu profané par celui qu’il appelait « l’excommunié » et le « Marrane, » fut restauré et ouvert par la libéralité de Léon XIII. Trois fois par semaine, ceux qui savent jouir du passé peuvent se donner la féerie naïve et raffinée, légendaire et mythologique, mise en scène par le plus éblouissant des costumiers et des peintres de décors ; ils peuvent respirer le souvenir de l’encens qui brûla dans la chambre du pape pour les saintes les plus chastes et pour les monstrueux ancêtres du taureau des Borgia, pour sainte Catherine et pour la vache Io, pour sainte Suzanne et pour Osiris, métamorphosé en bœuf Apis.

La Chapelle Sixtine, comme l’appartement voisin, a, peut-on dire, deux étages, que sépare une ligne peinte entre deux cycles de fresques. Lorsque Michel-Ange entra en maugréant dans la chapelle où allait l’enfermer un labeur de quatre années, la voûte seule, avec le lambris, n’était pas peuplée de figures humaines. L’épopée de la Genèse et des Prophéties, en se déployant sur la voûte, laissa intactes les peintures anciennes ; plus tard le Jugement dernier, en couvrant du haut en bas la muraille du chevet, n’effaça qu’une minime partie de ces peintures. Le reste de la décoration exécutée par ordre du fondateur de la chapelle est encore à sa place, moins altéré par les fumées que la voûte, et par les restaurations que le Jugement dernier ; mais bien peu de regards s’arrêtent sur les fresques du XVe siècle. Leurs paysages et leurs personnages sont comme voilés et obscurcis