Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de certaines amitiés. Les fournisseurs et les aventuriers qui l’avaient poussé à des réformes hâtives, plus spécieuses qu’efficaces, et qui cherchaient tout autre chose que l’intérêt du Maroc, ont abandonné le Sultan aux premiers symptômes d’un péril sérieux. Au contraire, les consuls européens, le capitaine Larras, de la mission militaire française, sont restés à leur poste ; le commandant de Saint-Julien s’est mis en route pour Fez, en pleine insurrection, avec M. Descos, premier secrétaire de la légation de France, malgré les nouvelles alarmistes répandues à profusion. Le règlement définitif des questions de voisinage entre l’Algérie et le Maghreb, qui vient d’être obtenu et qui va s’exécuter, mettra un terme, en même temps, à tous les litiges de détail que nos rivaux savaient exploiter contre notre influence. Le Sultan pourra apprécier où sont ses amis sincères, qui ne désirent que l’intégrité, le développement normal et l’ouverture prudente du Maroc, et où, ceux qui ne cherchent qu’à exploiter au profit d’intérêts personnels ou d’ambitions inavouées, les sympathies européennes et les goûts d’exotisme du jeune maître qu’ils flattent et dont, sous prétexte de l’amuser, ils font eux-mêmes leur jouet. Il se rendra compte que ses fantaisies coûteuses l’obligeront à des emprunts successifs, pour lesquels il devra donner des gages, et qui ouvriront, s’il n’y prend garde, la porte aux intrigues et aux cupidités étrangères.

Le Sultan, sans doute, est maître chez lui et personne ne désire le déposséder de sa souveraineté ; mais c’est à la condition qu’il n’en mésuse pas et qu’il ne donne sa confiance qu’à bon escient. Mais si, sur ce cerveau d’Oriental, les images fortes et simples font une impression plus vive et plus durable que les raisonnemens les mieux déduits, il pourra méditer l’apologue qu’un Français lui conta naguère, à un moment où il se montrait disposé à céder aux instances de son entourage britannique et à accorder à des Anglais la concession d’un chemin de fer : « Dans la cour de sa maison bien close, un homme élevait des poules. Il était dans son droit. Mais voilà qu’un beau jour son voisin s’avise d’élever toute une nichée de renards. Il était, lui aussi, dans son droit. Et cependant, qu’arriva-t-il ? Les renards firent un trou sous le mur et croquèrent les poules. »


RENE PINON.