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absurdité débitée sur son compte trouve des oreilles complaisantes. On se raconte sérieusement qu’aidée de la duchesse de Cleveland, elle a assommé la comédienne à coups de serviette. Aussi longtemps qu’elle sera en Angleterre, la faveur du roi elle-même la protégera difficilement contre les injures. Quand la marquise de Worcester fait arrêter pour son usage la maison que les gens de la duchesse de Portsmouth avaient choisie pour elle, et que celle-ci s’en plaint avec quelque hauteur, l’insolente lui répond « que les titres gagnés à se prostituer n’ont jamais fait impression sur les gens de bon sens, » et lui reproche des amours imaginaires avec le comte de Sault et le duc de Buckingham. Quand elle s’invite à dîner chez une autre grande dame, celle-ci renvoie ses enfans à la campagne et s’assied seule en face d’elle.

Les pamphlétaires qui l’ont outragée à son arrivée en Angleterre ne cessèrent de la maudire jusqu’après son départ. Sur la Carwell, leur verve est intarissable : grimace, que son amour pour le roi ; comédie, que ses larmes. Orgueil, avarice, insolence, lubricité, elle a tous les vices. Sa beauté même ne trouve pas grâce aux yeux de ses ennemis : pour eux, elle est vieille et laide. Aux grossièretés d’André Marwell s’ajoutent les ironies de Waller et les ordures des anonymes. Ses amis mêmes pensent se justifier en la déchirant : ainsi Dryden se vengea de ses Vers à une belle étrangère et Rochester la remercia de l’avoir protégé en écrivant le Miroir de la duchesse de Portsmouth. Vingt-quatre chefs de haute trahison, pas un de moins : voilà de quoi la faire pendre, le jour où la nation ouvrira les yeux aux avertissemens du pamphlétaire !

Qu’y a-t-il de vrai dans toutes ces injures ? A travers tout ce qu’elles ont d’excessif, reconnaissons que la fortune de la duchesse de Portsmouth et la politique qu’elle suivit les expliquent pour une bonne part, si elles ne les justifient pas aux yeux de l’historien impartial.

On se doute que ce n’est pas aux 40 livres sterling de rente que comportait le titre de duchesse, aux 20 livres attachées à celui de comtesse, que faisait allusion la verve exaspérée des pamphlétaires, quand ils dénonçaient à l’envi l’opulence scandaleuse de l’étrangère. La vérité est que, comme la plupart des favorites, elle se préoccupa d’exploiter largement la situation et le fit avec moins de scrupule à mesure qu’elle adopta les mœurs