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Charles II eut pour elle l’espèce d’attachement qu’elle méritait, et qui ne comportait nulle influence.

Que la duchesse de Portsmouth ait accepté de bon cœur ce partage humiliant, il est permis d’en douter. Mais, à qui s’était résigné à subir Nelly Gwyn et tant d’autres rivales, les conseils paternels de Courtin persuadèrent facilement de consentir à ce qu’elle ne pouvait empêcher. Au contact de la cour de Charles II, la délicatesse première du sentiment qui avait rapproché Louise de Kéroualle du monarque avait bien dû s’émousser. Sans descendre, comme Madame de Pompadour, à choisir les maîtresses de son amant, la duchesse de Portsmouth accepta qu’il en eût et supporta de bien vivre avec elles.

Entre toutes ces beautés, Courtin, galant quinquagénaire, servait de lien, ravi personnellement de les grouper autour de lui, enchanté, comme ambassadeur, d’apaiser des rivalités qui ne pouvaient qu’être préjudiciables aux intérêts de la France. Auprès de Madame de Mazarin, il était si assidu que Louvois l’en plaisantait ; mais il ne négligeait pas non plus la blanche Middleton, « la plus belle femme d’Angleterre et la plus aimable ; » Madame Beauclerc, « après Madame Middleton, la plus belle femme qui soit en Angleterre ; » Madame Harvey, « qui est la femme d’Angleterre qui hait le plus Madame de Portsmouth ; » Nell Gwyn elle-même dont on admirait en société les jupes en les soulevant l’une après l’autre : « Je n’ai jamais rien vu de si propre ni de plus magnifique. » Le triomphe de sa diplomatie fut de réunir à souper tant de belles personnes qui s’exécraient et de les rapprocher au moins pour quelque temps. « On enferma deux ou trois fois les dames qu’on croyait mal ensemble afin qu’elles pussent se réconcilier. Madame de Mazarin et Madame de Portsmouth sortirent se tenant par la main en sautant et dansant sur les degrés. » Si importante était jugée la bonne entente des deux rivales qui auparavant « n’avaient jamais mangé ensemble, » que Courtin, satisfait de lui-même, manda la nouvelle à la fois à Pomponne et à Louvois (février 1677).

La duchesse de Portsmouth sortait ainsi victorieuse de l’assaut féminin le plus redoutable qu’elle ait eu à soutenir. Ce devait être le dernier. Mais, victorieuse des intrigues féminines, la favorite gardait contre elle toute la haine du peuple anglais, qu’elle avait soulevée au premier jour.

Rarement l’aversion de la France s’éleva en Angleterre à un