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et particulièrement de Louvois se porta d’une manière décidée sur Madame de Guise, « qui a été grosse trois fois en deux ans et dont la naissance, le bien et l’espérance de sa fécondité devaient compenser le peu de beauté. » Colbert de Croissy promit de s’employer en sa faveur par tous les moyens, notamment « par voie de maîtresse et de confesseur. » Mais il trouva de la part de Mademoiselle de Kéroualle une résistance inattendue. Connaissant le caractère têtu du duc d’York, elle comprit que Colbert épuiserait inutilement son génie à tenter de lui faire « désirer Madame la duchesse de Guise. » Elle se rangea du côté de ses répugnances, lui fît un portrait épouvantable de Mme de Guise, et, à la candidate de son ancien protecteur opposa résolument une des demoiselles d’Elbeuf, petites-filles du duc de Bourbon, pauvres, mais jolies, dont elle fit placer les portraits dans sa chambre. Il s’agissait pour elle à la fois de se concilier les bonnes grâces d’une des plus grandes maisons de France et de démontrer à tous les yeux son influence. Elle s’employa donc avec ardeur pour ses protégées, parla à plusieurs reprises en leur faveur à Colbert, réussit à les rendre aimables aux yeux du quinteux duc d’York, qui, après les avoir trouvées trop jeunes, finit par mander à Louis XIV qu’il était disposé à épouser l’une d’elles. Au grand regret de la favorite, il se heurta à une résistance formelle du roi de France, qui, mécontent de la conduite du duc de Lorraine, n’entendait pas que le duc d’York prît femme dans sa maison. Mademoiselle de Kéroualle revint à la charge plusieurs fois avec une telle insistance qu’il y en eut quelque refroidissement entre elle et ses premiers protecteurs Colbert et Arlington. « Ce ministre, écrivait le premier, qui n’aime ni n’estime ladite demoiselle de Kéroualle, lui dit par manière de reproche que les obligations s’oubliaient aussitôt qu’un bon repas. »

Devant la volonté manifeste de son roi, la jeune femme ne s’obstina pas ; mais, si elle renonça à Mesdemoiselles d’Elbeuf, il fallut que, de leur côté, Colbert et Louvois abandonnassent Madame de Guise, qu’elle avait rendue inacceptable. On songea alors à Mademoiselle de Créquy, à Mademoiselle de Neubourg, et de nouveau à Mademoiselle de Wurtemberg. Ce fut encore la favorite qui fit écarter ce dernier parti, montant à tel point l’esprit du duc contre ce mariage que, « pour le faire réussir, il faudrait promettre que la mère se mît dans un couvent et ne vînt