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le voir accomplir cet acte décisif, malgré sa bonne volonté, Charles II temporisait, pressentant les inconvéniens d’une pareille démonstration. Il alléguait l’âge avancé du pape, consultait la reine d’Espagne au sujet de sa conversion, demandait au roi de France de lui envoyer un prêtre instruit pour en délibérer avec lui : mais surtout qu’il fût en même temps un chimiste, afin que leurs entretiens pussent avoir une apparence inoffensive aux yeux soupçonneux de son peuple. Il n’y a pas à douter que Mademoiselle de Kéroualle, qui, durant toute sa carrière, s’efforça à la fois de maintenir le roi dans la politique catholique et française et, d’autre part, d’empêcher que les actes d’un zèle maladroit provoquassent un soulèvement national, l’ait engagé de tout son pouvoir à cette réserve. Il fallut reconnaître qu’elle avait raison : « On ne doit plus espérer, écrivit Colbert, que Charles II fasse savoir qu’il est catholique : tout l’abandonnerait. »

L’ambassadeur, toutefois, dédaigneux et peu clairvoyant, se refusait à apprécier à sa valeur le rôle d’une favorite qu’il estimait lui devoir son élévation. En dépit de l’empressement du roi auprès d’elle, il cessait bientôt de croire à un attachement durable. Trois mois après son avènement, il constate avec quelque étonnement qu’elle est « toujours en faveur. » Mais il pressent pour elle qu’elle trouvera une rivale redoutable dans la nouvelle duchesse de Richmond, Mademoiselle Stewart, dont « le grand talent est de savoir bien danser ; » d’ailleurs, opine-t-il. Mademoiselle de Kéroualle « ne sait pas se conduire dans la bonne fortune » et sera dupe de sa maladresse. Diplomate honorable, mais médiocre, Colbert de Croissy était plus médiocre psychologue. L’affaire du mariage du duc d’York allait montrer à la fois le sentiment très juste qu’avait Mademoiselle de Kéroualle du milieu où elle vivait et l’influence réelle dont elle disposait déjà. Devenu veuf en 1671, le duc d’York éprouvait un vif désir de se remarier. Après une jeunesse assez tourmentée, il était devenu dévot et voulait une princesse catholique. Mais, comme il désirait lui demeurer fidèle et que cette fidélité ne fût point trop douloureuse, il fallait qu’elle fût jolie. Le mariage de l’héritier du trône était une affaire d’État. On passa en revue à Londres et à Versailles tous les partis imaginables. La veuve du duc de Northumberland et celle du comte de Falmouth furent écartées ainsi que Mademoiselle de Wurtemberg. Le choix de la France