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des larmes succédant au sourire, le talent de se faire désirer en se refusant ou d’exaspérer le désir en semblant près de se donner. Les longs mois qui se passèrent avant que Mademoiselle de Kéroualle cédât à la passion croissante de Charles II nous sont un témoignage précieux du caractère de la jeune fille et de ce qu’offrit de particulier le lien qui devait l’unir au roi d’Angleterre.

N’y eut-il de sa part dans cette prolongation de résistance qu’un raffinement de coquetterie, qu’un marchandage savant de courtisane rouée qui, avant de se livrer, stipule à loisir les conditions de son abandon ? Il paraît vraisemblable, — et les mœurs du temps ne permettent point de s’en indigner, — que Louise de Kéroualle prévoyait bien le terme de ses temporisations et entendait consolider l’établissement sérieux auquel elle aspirait. Nous croyons pourtant qu’il y eut quelque sincérité morale, nous dirions presque quelque solennité, dans les longs préambules de cette union qui fut autre chose que les caprices habituels du galant monarque. Chez cette enfant, Charles II ne trouva point seulement l’image de sa sœur défunte, la langue du seul pays dont il attendît aide et protection, la seule religion dont il espérât le salut. Il trouva quelque chose qu’il n’avait jamais rencontré : des scrupules qui venaient d’une solide éducation morale et religieuse et qui peut-être, au moment de rompre avec les enseignemens qu’elle avait reçus, se réveillèrent plus pressans que Louise de Kéroualle elle-même ne l’avait pressenti. Pour en venir à bout, il fallut plus que les conseils sourians de Saint-Evremond, ceux de l’ambition et de l’intérêt, plus que l’exemple des beautés faciles d’Angleterre et de France, plus que l’empressement amoureux du monarque : il fallut peut-être qu’on lui fît entendre que son sacrifice et son élévation ne seraient pas inutiles à la cause du roi dont elle demeurait la sujette.

Si Louis XIV et son ambassadeur furent en effet entièrement indifférens au voyage en Angleterre de Mademoiselle de Kéroualle ; si, contre la tradition commune, ce sont les Anglais eux-mêmes qui ont attiré chez eux celle qui devait être haïe comme représentant par excellence l’influence française, il est visible que, lorsque son ascendant sur le roi devint manifeste, elle attira l’attention un peu dédaigneuse de Colbert de Croissy, gentilhomme assez âgé, valétudinaire, d’envergure d’esprit médiocre, mais appliqué et consciencieux, qui entrevit qu’il y aurait pour le roi