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rappela une plaisanterie de Buckingham et éclata de rire à la figure de cet homme d’un aspect si grave que sur sa mine on l’avait fait ministre.

Aussi, malgré les visites fréquentes que lui rendait le roi, elle faisait moindre figure que Barbara Villiers, par la faveur du roi comtesse de Castlemaine, et tout récemment duchesse de Cleveland, grande, brune, « le nez un peu relevé, les lèvres vermeilles, la gorge belle, » de taille noble et aisée, « les yeux noirs assez fendus, promettant beaucoup, mais moins encore qu’elle ne tenait, » et dont le caractère violent, despotique et passionné, s’il fatiguait quelquefois la longanimité de Charles II, en imposait à sa faiblesse.

Les rivalités de ces nobles dames et leurs passions défrayaient la curiosité de la cour. On se racontait les compétitions furieuses de la Castlemaine et de la Stewart pour monter en premier dans le beau carrosse français de deux mille louis, offert par Grammont au roi. « La Castlemaine était grosse et menaçait d’accoucher avant terme si sa rivale avait la préférence. Mademoiselle Stewart protesta qu’on ne la mettrait jamais en état d’accoucher si on lui refusait. Cette menace l’emporta sur l’autre. » N’est-ce point cette querelle qu’en dernier ressort toutes deux vidèrent à coups de poing ? Quand elles ne se disputaient point la faveur du roi, chacune courait l’aventure pour son compte. La Cleveland trompait Charles II avec Buckingham, ensuite avec Churchill ; la Stewart, avec Richmond ; la Middleton, avec Ranelagh ; Nelly Gwyn et Davis, avec tout le monde.

Chacune avait sa cabale qui non seulement sollicitait les bienfaits du roi, mais tâchait à diriger sa politique. « Il y a dans la cour anglaise, notait l’envoyé du Brandebourg, une effroyable corruption, on n’y trouve rien que des femmes et l’on n’y parle que d’histoires d’amour. » Comminges est stupéfié de leur influence. « Les Anglais, déclare-t-il, sont véritablement les esclaves de leurs femmes et de leurs maîtresses. » Des trois ou quatre cabales qui se partagent la cour, « le roi, qui devrait les dominer toutes, se trouve à la tête de la plus faible. »

Sans doute il ne faut point forcer les couleurs de ce tableau. A Versailles aussi bien qu’à Whitehall, sous le décor extérieur de pompe et de raffinement, il demeurait un fond de barbarie, et qui glanerait parmi les chroniques de la cour de Louis XIV en