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l’époque. Il y eut, au mois de janvier 1669, grande réception, par le Duc et la Duchesse d’Orléans, de Morosini, ambassadeur de Venise. Entre autres divertissemens, on lui offrit un ballet. Dans la lettre en vers que Charles Robinet adressa sur ce sujet à Madame, il distingua plus particulièrement la nouvelle fille d’honneur et exprima son admiration dans le style poétique qu’il avait hérité de Loret :


... À ce cercle je vis,
Et mes yeux en furent ravis,
Votre fille d’honneur nouvelle
Également mignonne et belle,
Et qui par dessus ses appas
Sait figurer de galans pas.
Ce qui veut dire qu’elle danse
Et sait à ravir la cadence.
A quoi j’ajoute que vraiment
Elle est fille d’entendement
D’avoir su si beau poste prendre,
Et c’est, ma foi, des mieux entendre.


« Fille d’entendement : » pour une fois Robinet, en cherchant la rime, avait parlé selon la raison.

Quoi qu’il en soit, par froideur ou par vertu, par ambition ou par scrupule religieux, Mademoiselle de Kéroualle ne fit point parler d’elle à la cour ; peut-être secrètement aspirait-elle déjà à une destinée plus haute que celle qu’elle pouvait rencontrer en France, à celle qui, quelques années plus tard, était réservée à Mademoiselle d’Arquien, elle aussi jadis fille d’honneur, mariée à un gentilhomme polonais nommé Jean Sobieski, et qui allait être reine de Pologne à son côté.

Comment Mademoiselle de Kéroualle se trouva-t-elle parmi les deux cents et quelques personnes qui accompagnèrent en Angleterre Madame Henriette, chargée de resserrer les liens entre la France et l’Angleterre ? S’il fallait en croire les malignes allusions de Madame de Sévigné, on avait deviné son étoile avant son départ, et ses destinées d’outre-Manche étaient fort prévues. Ne nous en laissons point trop imposer par son autorité : des Rabutin, elle avait l’esprit caustique et une jalousie particulière pour cette Bretonne qui fit une carrière plus brillante que Madame de Grignan.

Destinée d’après Saint-Simon à Louis XIV, d’après Madame de