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des deux monarques ? Aux ministres anglais ? A la diplomatie si renommée de Louis XIV ? En partie sans doute. Mais peut-être tant d’efforts eussent été vains, si par hasard une jeune fille bretonne « à figure de bébé » n’eût, au mois de juin 1670, accompagné Henriette d’Angleterre dans son voyage d’outre-Manche et attiré les regards de Charles II ; c’est la main de Louise de Kéroualle, bientôt duchesse de Portsmouth, qui, aux heures les plus critiques, a tenu les fils où s’attachaient les destinées de deux royaumes et de deux religions.

Qui était cette jeune fille ; comment elle conquit et sut retenir la faveur du volage Charles II ; par quels efforts elle s’imposa à l’Angleterre et aux ambassadeurs de Louis XIV ; au prix de quels prodiges d’énergie et de finesse, tour à tour triomphante et abattue, mise en péril chaque jour par la satiété du maître et l’intrigue de ses rivales, exécrée par la faction protestante, abandonnée ou méconnue de ses alliés eux-mêmes, elle parvint à se maintenir au pouvoir ; comment, guidée sans doute par des vues d’intérêt personnel, mais aussi par un sentiment respectable et par un sens diplomatique très fin, elle sut neutraliser l’Angleterre jusqu’à la paix de Nimègue ; comment, de l’effroyable tourmente politique et religieuse que soulevèrent la paix détestée et les calomnies d’un Titus Oates, elle réussit à sortir grandie ; comment les dernières années du règne de Charles II la virent intermédiaire attitrée des deux monarques, correspondante de Louis XIV et, pour ainsi dire, ministre des Affaires étrangères en Angleterre ; comment, somme toute, elle fit durer pendant trois lustres un modus vivendi qu’après sa retraite le triste Jacques II ne devait pas prolonger trois années : voilà ce que nous voudrions raconter.

Après l’agréable volume où M. Forneron s’est amusé à grouper autour de Louise de Kéroualle un grand nombre de pièces et d’anecdotes historiques, sans se préoccuper particulièrement d’en établir le lien, il demeure, dans divers dépôts d’archives publiques ou privées[1], une foule de documens inédits

  1. Archives Nationales, Archives de la Guerre et des Affaires étrangères à Paris. British Museum et Record Office à Londres. — De plus, M. le duc de Richmond a bien voulu nous ouvrir les Archives de Goodwood, si riches en souvenirs de toutes sortes sur la duchesse de Portsmouth, et M. le comte de Maleissye nous donner communication des papiers de Barrillon, ambassadeur de France à Londres. Plusieurs recueils manuscrits des Affaires étrangères et de la bibliothèque d’Aix nous ont fourni d’autre part toute une correspondance inédite échangée entre Louis XIV et la duchesse de Portsmouth de 1679 à 1683.