Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/957

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

primait ainsi : « Quand peut survenir une crise orientale ? Nous n’avons à ce sujet aucune certitude. Il y a eu, selon moi, quatre crises en ce siècle, si je ne fais pas entrer en compte les crises moindres et qui ne sont pas arrivées à leur complet développement : l’une en 1809, terminée par la conclusion de la paix qui donna à la Russie la frontière du Pruth ; puis en 1828 ; puis, en 1854, la guerre de Crimée ; puis en 1877 ; elles se sont succédé ainsi par étapes distantes l’une de l’autre d’environ vingt années et un peu plus. Pourquoi donc la prochaine crise devrait-elle se produire plus tôt qu’après la même période de temps, c’est-à-dire vers 1899 ? » La crise, on le voit, a été retardée de quelques années encore : mais, si elle éclate en ce moment, on pourra dire que le prince de Bismarck ne s’est pas trompé de beaucoup. Ce sont là, sans doute, des jeux d’esprit. Toutefois, jusqu’à ce que la question d’Orient soit résolue, — et il y en a encore pour longtemps, — il faut s’attendre au renouvellement périodique de ces crises. La sagesse de la diplomatie peut plus facilement les prévoir qu’y échapper. Celle qui se prépare actuellement aurait tout aussi bien pu éclater l’année dernière. On voit dans le Livre Jaune qu’elle a été presque constamment sur le point de le faire, et même qu’elle l’a fait dans une certaine mesure, mais trop tard : l’hiver est venu y mettre un terme, et tout a été renvoyé au printemps prochain. Les dépêches de nos agens sont, à ce point de vue, parfaitement concordantes. Toutes déclarent qu’il faut s’attendre à une insurrection sérieuse, et le seul point sur lequel elles diffèrent est relatif à l’efficacité des réformes qui pourraient peut-être en empêcher l’éclosion. Nous parlerons de ces réformes dans un moment.

Pour revenir aux incidens de l’automne dernier, s’ils n’ont pas pris plus de gravité, il faut l’attribuer sans doute à la brusque apparition de l’hiver, mais aussi aux divergences qui se sont produites dans les comités révolutionnaires bulgares. On se rappelle qu’à la suite de conciliabules ou de congrès qui ont eu alors quelque retentissement, ces comités ne sont pas parvenus à s’entendre et se sont coupés en deux. Il y a eu, dès lors, le comité Michaïlowski ou Zontchef et le comité Sarafof. Le premier passait pour plus modéré, parce qu’il voulait le rattachement de la Macédoine à la Bulgarie ; le second pour plus révolutionnaire, parce qu’il voulait une Macédoine indépendante. Mais, en somme, une de ces solutions pouvait amener à l’autre, et il ne semblait pas impossible que les deux comités fissent provisoirement cause commune. L’accord, toutefois, ne s’est pas opéré l’année dernière, et, par un renversement de rôles qui a pu passer pour singulier,