Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Te Deum et les Salve Regina, les Sanctus et les Hosanna se mêlent ou se répondent. Une voix d’abord, puis toutes les hiérarchies en chœur entonnent un suprême Ave Maria. La dolce sinfonia finit comme elle avait commencé. Mais cette fois l’angélique salutation ne tremble plus, solitaire, dans les vapeurs de la lune ; renforcée à l’infini par des voix innombrables, elle roule comme le tonnerre et remplit les cieux. C’est l’épilogue, c’est la conclusion, dira le lecteur ordinaire ; mais le lecteur musicien dira, lui : c’est la dernière reprise, c’est le « motif augmenté, » c’est la cadence.


Quels échos laisse-t-elle en nous et, quand nous penserons à la musique, qu’est-ce que la pensée de Dante ajoutera désormais à notre pensée ?

D’abord un peu de mélancolie. Au cours de son étude sur le Purgatoire, Emile Montégut a ressenti quelque tristesse. « Toutes ces âmes, se demande-t-il, avec lesquelles le poète s’entretient, où sont-elles maintenant ? Ont-elles achevé de gravir la montagne de purification et sont-elles entrées enfin dans le sein de Dieu ? Si elles n’ont pas achevé de gravir la montagne, combien lente aujourd’hui doit être leur ascension ! Bien des siècles se sont écoulés déjà depuis que le poète les visita, leurs noms ont péri, le souvenir de leurs vertus et de leurs bienfaits a péri, et il y a longtemps qu’à leurs souffrances est venue s’ajouter la douleur de sentir qu’aucun secours ne leur venait plus de la terre. Si elles ont encore besoin de prières, où peuvent-elles en trouver ? Y a-t-il aujourd’hui un Romagnol, un Toscan, un Lombard qui s’intéresse à un Provenzan Salvani, à un Guido del Duca, à un Conrad Malaspina ? Y a-t-il quelque part sur toute la terre italienne une âme de femme que touche le sort de Pia di Tolommei ou de Sapia la Siennoise ? Est-il un artiste ou un poète qui s’inquiète de ces confrères anciens : Casella le musicien, Belacqua le facteur d’instrumens, Daniel Arnauld ? »

Nous à notre tour, en songeant à ceux-ci, nous ressentons une sympathie, une inquiétude fraternelle, et dans le secret de notre âme, nous demandons pour eux la délivrance et le repos éternel.

Mais si le destin des musiciens nous demeure caché, combien nous apparaît éclatant celui de la musique elle-même ! Un Dante nous est garant, en ayant été témoin, de son immortalité.