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Une partie du gain est réservée pour la semence, le remboursement des prêts et l’acquittement de l’impôt, une partie vendue pour le compte commun, tout le lait partagé également entre les membres des familles sociétaires. L’artèle est constituée pour un terme de cinq ans. En cas de fusion de plusieurs artèles ensemble, un curateur collectif peut être nommé : ecclésiastique, maître d’école, fonctionnaire de province quelconque. Jusqu’ici les sociétaires vivent en paix, s’engagent à ne pas tomber dans l’ivrognerie et en cas de contestation acceptent, sous peine d’être exclus, l’arrêt prononcé par la collectivité. Les avantages de la grande culture sont assurés ainsi au laboureur.

Des guides prudens, de bons bergers dévoués à la conduite du troupeau, en même temps beaucoup d’écoles, voilà ce qu’il faut pour faire passer le peuple russe des travaux en commun non spécialisés, l’ancienne artèle, à l’organisation plus complexe des sociétés coopératives modernes. Mais ces écoles quelles seront-elles ? C’est ici que s’affirment les différences fondamentales entre la Russie et l’Amérique. L’admirable système des écoles publiques, rapprochées à un mille d’intervalle dans les parties les plus lointaines des États-Unis, manque déplorablement ici. Le petit paysan russe doit franchir souvent d’énormes distances à pied pour se rendre à l’école paroissiale où peut-être il n’aura pas d’autres leçons que celles d’un sacristain presque aussi ignorant que lui. Les écoles du zemstvo, — les écoles communales, — sont bonnes et font du bien, quoique l’on compte encore 70 pour 100 d’illettrés. Elles ne sont pas à beaucoup près assez nombreuses, et il se trouve, même parmi les bienfaiteurs des paysans, un certain nombre d’esprits rétrogrades pour critiquer et contrarier leurs tendances. Dans une brochure intitulée : Suum cuique, écrite par une personne que paraît préoccuper beaucoup la destinée future du peuple russe, je lisais dernièrement que les enfans qui ne savent a ni b deviennent généralement des hommes plus forts, plus actifs que les autres ; que l’école éloigne trop souvent l’enfant des travaux rustiques et lui donne de vagues aspirations à l’existence des villes ; que des conflits fâcheux entre pères qui ne savent pas lire et enfans barbouillés d’un demi-savoir naissent de l’existence des écoles, etc. Ces mêmes propos ont été tenus chez nous avant l’enseignement obligatoire, et ils ne suffisent pas à prouver que des millions d’individus doivent rester dans l’ignorance. Du reste l’auteur de Suum cuique