Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/892

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mourir de faim. Il ne monte pas au tiers des salaires peu élevés pourtant qu’on accorde en Angleterre dans les mêmes conditions. Ouvriers et ouvrières sont parqués comme des animaux dans d’affreuses baraques en planches dépendantes de la fabrique. De chaque côté d’un long corridor obscur s’ouvrent les chambres petites et grandes où le nombre des habitans n’est pas déterminé, soit qu’une famille s’entasse dans une des petites chambres, soit que les individus isolés logent en dortoir[1]. L’air manque, les deux sexes sont réunis pêle-mêle, les petits enfans se traînant pâles et chétifs sur le sol couvert d’immondices.

Détail caractéristique : pour certaines industries plus mal payées que les autres, le staroste, qui traite avec le fabricant au nom de l’artèle, promet dans le contrat de s’abstenir d’aller en ville demander l’aumône ! Jusqu’en 1882, il n’y avait pas de règle pour les heures de travail, le patron exigeait parfois quinze et dix-sept heures, sans considération de l’âge. A partir de cette date, l’attention du gouvernement ayant été attirée sur un scandaleux état de choses, quelques réformes importantes se produisirent. Des inspecteurs entrèrent en fonctions ; les heures de travail des femmes et des enfans furent limitées et le travail de nuit défendu ensuite à toute cette catégorie d’ouvriers.

La maison de convalescence fondée à côté du grand hôpital Catherine est une institution à leur usage. Les enfans des deux sexes y sont admis.

En 1899, une loi borna pour les adultes la durée quotidienne du travail à onze heures et demie. Le développement de l’industrie et les premières améliorations apportées au sort de la classe ouvrière remontent à 1861, l’ère de l’émancipation. Dans cette période relativement courte de quarante années, il y a eu certainement des progrès, mais ces progrès semblent de nature à léser des intérêts nombreux, comme il arrive pour toutes les révolutions, même inévitables et salutaires. Leur premier résultat sera d’imposer la division du travail. En effet, dans les grandes manufactures nouvellement fondées sur le plan occidental, il devient de plus en plus difficile de compter avec la saison des récoltes et avec les cent vingt-sept jours fériés que célèbre scrupuleusement dans l’année tout bon moujik. C’est un adieu au village qui s’ensuivra ; la ville retiendra les anciens travailleurs

  1. Très intéressant rapport de Mme Zénéide Serghievna d’Ivanoff au Congrès international des femmes en 1899.