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mouvement social qui, en durant ou en s’étendant, et, pour s’étendre ou pour durer, n’ait affecté tôt ou tard l’allure et le caractère d’un mouvement religieux.


IV

« Comment la révolution française a été une révolution politique qui a procédé à la manière des révolutions religieuses, et pourquoi ? » C’est la question que s’est proposée Tocqueville, tout au début (chapitre III) de son livre classique sur l’Ancien Régime et la Révolution. Et il y répond que « le caractère habituel des religions étant de considérer l’homme en lui-même, sans s’arrêter à ce que les lois, les coutumes et les traditions d’un pays ont pu joindre de particulier à ce fond commun, » la Révolution française, en tant qu’elle n’a pas recherché seulement « quel était le droit particulier du citoyen français, mais quels étaient les devoirs et les droits généraux des hommes en matière politique, » est donc marquée au même signe d’universalité. La réponse est juste, mais insuffisante, étant trop générale, et la question est assez mal posée.

La Révolution française a-t-elle été d’abord ou principalement une « révolution politique ? » Si l’on pouvait encore le croire au temps de Tocqueville, on ne le peut plus de nos jours, et certes, nous savons que, de 1789 à 4815 (pour nous contenir entre ces limites) il s’est agi de tout autre chose que de changer la forme ou le personnel du gouvernement. Lui aussi, comme l’Église, l’Ancien régime était « une société complète, » et de la révolution qui renversait cette société, Goethe a pu dire, avec raison, au soir de Valmy, qu’elle ouvrait une « ère nouvelle de l’histoire du monde. » D’un autre côté, cette révolution, quoi qu’on en puisse dire, et de quelque universalité de principes qu’elle ait fait montre, a été déterminée dans sa forme, — je dirais volontiers jusque dans ses excès, — par l’état antérieur de la France, comme le conséquent par son antécédent, ou l’effet par sa cause, et pour n’en citer qu’un unique exemple, la Constituante n’aurait pas dépecé le territoire français en départemens, s’il ne s’était agi de détruire à fond ce que les anciennes provinces, malgré nos rois, et en dépit du progrès de la centralisation administrative, conservaient d’autonomie, d’indépendance, et d’unité géographique. Et quand enfin, comme Tocqueville, on