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caractères l’individualité s’en distingue, ni surtout s’y oppose. Mon opinion ne m’est « personnelle » que de la quantité dont elle diffère de l’opinion commune, et mon « individualité » ne s’affirme que dans ce contraste. Individualisme, individualité, s’il ne faut pas les confondre, Vinet aurait bien dû nous dire de quelle manière, ou par quel artifice, on réussira jamais à les distinguer. Mais qu’il reconnaisse dans l’Individualisme, « l’obstacle et la négation de toute société, » voilà, encore ici, ce qui est intéressant, et j’oserai même dire capital. Confitentem habemus reum. Il n’y a pas moyen de laisser libre cours à l’ « individualisme ; » l’autonomie du Moi est la « négation de la société ; » et ce n’est pas seulement l’unité religieuse, mais l’unité sociale qui est menacée par les divisions religieuses.

Ce que manifestent donc toutes ces tentatives, c’est qu’en quelque point de la chaîne du dogme que se soit opérée la rupture, et pour quelque motif que ce soit, les causes de la rupture pouvaient bien être « intellectuelles, » ou « métaphysiques, » ou « théologiques, » mais les conséquences en sont surtout « sociales. » Ce n’est pas seulement une communauté d’opinions qu’on a brisée, c’est une communauté d’intérêts et d’intérêts majeurs. On n’avait cru toucher, d’une main généreuse et hardie, qu’à des « superstitions, » ou à des « survivances » d’un passé condamné sans retour, et on s’aperçoit, avec un peu d’effroi, qu’on a, sans le vouloir, ébranlé jusqu’en ses fondemens la structure même d’une société. Mais, comme on ne voudrait pourtant pas retourner en arrière, ou plutôt, comme on sent que l’on aurait beau le vouloir, on ne le pourrait pas, on essaie donc, par des moyens nouveaux, de refaire cette cohésion sans laquelle une société n’est pas une société, mais une poussière d’hommes ; et on n’y a pas jusqu’à présent réussi ; mais si l’on n’y a pas plus complètement échoué, ce n’est, et nous venons de le constater, qu’en « laïcisant » les principes d’une religion.

C’est ce que Stuart Mill, et depuis lui tous ceux qui persistent à ne voir dans la religion qu’ « une affaire individuelle, » ont prétendu sans doute reprocher à Auguste Comte quand ils lui faisaient un grief « d’avoir tiré de la discipline catholique la plupart de ses idées de culture morale. » Et, de fait, nous en avons nous-mêmes fait plus d’une fois la remarque, le positivisme, à plus d’un égard, n’est qu’une « laïcisation » du catholicisme. Mais il ne l’est point consciemment, ou, comme on dit, de dessein