Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

protestant d’Amérique. Il dit ailleurs, dans un discours sur l’Approche de la crucifixion : « L’idéal divin de société humaine que Jésus avait conçu était la croix sur laquelle il a été cloué, car ses doctrines étaient moins théologiques que sociales. » Il nous assure que ce qu’il pense et ce qu’il exprime ainsi, des foules, autour de lui, le pensent comme lui. On traduit ses Discours à Genève, et on le suit dans la voie qu’il indique. Mais, dans cette même voie, lui et ses adhérens, Auguste Comte les avait précédés. Avant eux, — et peut-être pour eux, — il avait montré qu’au fond de toute religion il y a une « sociologie. » Et, puisqu’il l’avait montré surtout à l’encontre du protestantisme primitif, c’est une occasion qui s’offre à nous de passer de la preuve à la contre-épreuve, et de montrer ce que devient une religion quand elle cesse d’être une « sociologie. »


III

Quelle est, en effet, je ne dis pas la seule cause, mais l’une au moins des principales causes de ce phénomène de « déchristianisation » lente et continue, dont on pourrait dire qu’il résume, depuis trois ou quatre cents ans, l’histoire de la pensée religieuse ? Est-ce que par hasard, aux environs du XIVe siècle, des impossibilités ou des difficultés de croire auraient brusquement surgi, dont la raison de l’homme ne se serait pas avisée jusqu’alors ? On le dit ; mais on ne s’en douterait guère à lire Luther ou Calvin ! Les sciences naturelles, dont on verra sortir les plus troublantes et les plus redoutables de ces « difficultés, » ne se sont constituées qu’à la fin du XVIIIe siècle ou au commencement du XIXe ; on en peut dire, il en faut dire autant de l’exégèse ; et, en réalité, contre l’enseignement du catholicisme ou du protestantisme, qu’il confond indistinctement dans une haine commune, Voltaire n’a fait valoir aucun argument qui ne fût dans Celse ou dans Porphyre. Oserai-je ajouter qu’aussi bien, en 1903, sur la question de savoir « si la foi suffit à nous justifier, » ou si le sacrifice de la messe est une idolâtrie, nous n’avons ni plus ni moins de lumières, en dépit du progrès de la « science » que n’en pouvait avoir un chrétien du Ve siècle ?

On dit encore, — et j’inclinerais davantage à le croire, — que la sévérité de la morale chrétienne aurait découragé de la suivre une humanité « régénérée » dans le paganisme, et rendue par